L’art théâtral peut prendre maintes formes qui bien souvent sortent du cadre des formules plus classiques mettant en scène une troupe complète et des décors qui ne laissent guère de place à l’imagination des spectateurs. Avec le Théâtre Témoin et la pièce Les tempêtes du siècle, c’est à un type d’expérience artistique original, plus intense pour l’interprète et plus intime pour le public, que le Cercle de l’amitié de Mississauga a convié la communauté.

Le Théâtre Témoin est basé en Gaspésie, au Québec. « Ce que l’on fait, ce sont des spectacles itinérants indépendants en électricité », explique en entrevue Marie-Anne Dubé, la comédienne venue à la rencontre des francophones de la région de Peel. Elle et ses comparses ont créé cette compagnie théâtrale petite en moyens mais grande en idées qui se spécialise dans les productions pouvant être offertes partout, y compris dans des endroits qui, de prime abord, seraient jugés difficiles à l’offre d’un spectacle. L’ingéniosité des artisans du Théâtre Témoin consiste à miser sur le côté minimaliste de leurs décors et accessoires pour s’affranchir de ces limites techniques tout en s’ouvrant de nouveaux horizons créatifs.

Des habitués du Cercle de l’amitié et bon nombre de nouveaux venus ont assisté au spectacle.

La pièce Les tempêtes du siècle, un brin surréaliste tout en demeurant très accessible, est représentative de ce concept. L’œuvre ne nécessite qu’une seule personne qui, à elle seule, endosse les rôles d’une mère de famille, ses quinze enfants et deux mystérieux visiteurs. Autour d’elle, deux stores font office tantôt d’une maison, tantôt d’un bateau, et une poignée d’objets hétéroclites remplissent les autres fonctions jusqu’à se transformer en instruments de musique. Ce sont également ces accessoires dont l’interprète se sert pour les effets sonores les plus divers.

Pendant une heure et quart, Marie-Anne Dubé a donc cumulé simultanément les fonctions de comédienne, de chanteuse et de technicienne pour une performance qui, comme tous ont pu le remarquer, était très exigeante au plan physique. À grand renfort de postures, de mimiques et d’intonations, elle rendait chaque personnage facilement reconnaissable, une véritable prouesse à laquelle s’ajoutait le défi de faire « voir » au public des lieux qui autrement n’existaient que par le biais d’un bric-à-brac saugrenu.

Mais qu’est-ce donc que Les tempêtes du siècle? Écrite par Mme Dubé et Valérie Bertrand-Lemay, la pièce, alternant entre narration et interprétation, s’inspire de faits réels glanés ça et là dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie mais fortement romancés à des fins comiques ou dramatiques. Le récit se déroule au cours d’une interminable et terrible tempête de neige au cours de l’hiver 1847 alors qu’une famille canadienne-française, déjà isolée par la géographie, se voit littéralement séquestrée dans sa maison par le mauvais temps. La mère et sa marmaille sont bientôt rejointes par un Micmac et une jeune irlandaise rescapée d’un naufrage à qui sont offerts, par charité, le gîte et le couvert. S’entame alors un huis clos où les vivres commencent à manquer et où les circonstances poussent trois cultures à cohabiter et à se découvrir.

Comme l’explique Marie-Anne Dubé : « Ils finissent par se reconnaître au travers de leurs tempêtes mutuelles et à faire tomber les barrières. » Leurs tempêtes? Oui, car au-delà de la neige qui tombe sans fin, le pluriel employé dans le titre s’explique par les « tempêtes » personnelles et sociales auxquelles sont confrontés les personnages : une femme écrasée par ses responsabilités parentales, un Autochtone dépossédé de son territoire et une Irlandaise fuyant la pauvreté et l’oppression.

Heureusement, aux tempêtes succèdent le beau temps et la pièce a laissé les spectateurs sur un sourire. Quant à l’équipe du Cercle de l’amitié, elle peut se féliciter d’un succès de foule et d’appréciation.

PHOTO : Marie-Anne Dubé au milieu de son décor et de ses accessoires.