« Mes têtes en couleur », c’est le nom de la nouvelle série de tableaux signée la Montréalaise Joan Dumouchel et qui sera exposée du 11 au 28 juin à la Stone Distillery Gallery de Toronto. Seize œuvres y seront dévoilées dans une première présentation personnelle de l’artiste avec la Galerie Thompson Landry.

À y regarder de plus près, Joan Dumouchel peint comme écrit un romancier ou un scénariste! Et pour cause, sous ses traits et ses couleurs fantastiques et fantaisistes, elle semble habiter ses figures, ou plutôt ses personnages, et après l’avoir rencontrée virtuellement, il s’est avéré que l’inverse est vrai également!

Immersion dans le monde onirique d’une peintre qui manie le fusain avec les tripes, qui trempe son pinceau directement dans son cœur, et dont le travail s’apprécie avec les six sens!  

Lighting

S.C. : Tout d’abord, êtes-vous déçue du fait qu’il ne peut y avoir de vernissage à votre exposition à cause des mesures de sécurité sanitaires que l’on vit en ce moment, sachant que la réception d’ouverture pour un artiste peintre est très importante pour la suite ?

J.D. : Oui! C’est certain que c’est toujours agréable de rencontrer le public, discuter, partager et avoir un feedback direct avec lui, parce que nous autres artistes peintres, on est confinés presque durant toute l’année lorsqu’on peint, surtout que j’ai l’habitude de travailler seule dans mon atelier.

En même temps, avec ce qu’on vit en ce moment, on n’a pas trop le choix, on ne peut pas lâcher prise, surtout à ce moment critique. C’est comme ça, j’ai dessiné avec mon cœur et advienne que pourra! 

S.C. : Sans transition aucune! On ressent dans cette série un côté circassien! Est-ce que cela était volontaire ?

J.D. : Tout à fait. D’ailleurs, le monde du cirque a été ma source principale d’inspiration pour ce travail en particulier. En fait, j’ai une fille qui est artiste de cirque et c’est elle qui m’a fait découvrir ce monde merveilleux et intéressant qu’est le cirque. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose à tirer de là par rapport à mon travail de peintre. Ma fille était ma muse en quelque sorte.

Metamorphose

S.C. : Donc en réalité, cette série « Mes têtes en couleur » devrait s’appeler « Les têtes de ma fille en couleur » !  

J.D. : (rire). Vous ne croyez pas si bien dire. Ma fille a posé pour moi dans cette série, mais elle le faisait d’une manière singulière et très intéressante. Elle était par exemple capable de me rendre et de me renvoyer l’émotion dont j’avais besoin. Ce qui m’a beaucoup facilité la tâche parce que pour moi, il est très important de mettre des émotions sur mes toiles, sinon le jeu ne vaut pas la chandelle.

S.C. : On ressent aussi dans votre travail un côté enfantin, et même un peu bande dessinée, est-ce que cela aussi est volontaire ?

J.D. : Tout à fait! L’explication est toute simple. J’ai dessiné au fusain et au crayon de plomb pendant des années, et peut-être que je n’arrive pas à m’en défaire parce qu’il y a des moments où lorsque je finis une toile, je prends le fusain et je trace des lignes par-dessus, puis je laisse ça comme ça. C’est ce qui, à mon sens, donne ce côté dessin ou ce côté un peu brut.

S.C. : Le troisième sentiment qui se dégage lorsqu’on visualise vos toiles est que vous peignez comme écrit un écrivain ou un scénariste, dans le sens où vous habitez vos personnages et/ou qu’ils vous habitent! Est-ce que c’est juste, ou est-ce que c’est juste une impression ?

No Time

J.D. : Je suis très contente que vous mentionniez ce point. C’est tout à fait vrai, parce que je vis avec mes personnages, c’est comme si je les habite le temps que dure le processus de la création. Même parfois, le personnage vit encore avec moi pendant quelques jours après l’achèvement d’une peinture.

S.C. : Justement, est-ce que, comme beaucoup d’écrivains qui se détachent complètement de leur œuvre et leurs personnages une fois que cette dernière est mise sur le marché, vous coupez le cordon ombilical avec vos peintures une fois qu’elles sont exposées au public ?

J.D. : Je comprends parfaitement ça! Une fois que c’est parti, il y a comme un détachement qui s’opère! C’est comme un enfant qui part de la maison. On l’a aimé, on lui a donné le meilleur de soi, puis après il s’en va et on finit par l’accepter et à être résigné.

S.C. : Vous me lancez une belle perche pour ma prochaine question! En parlant d’enfant, quel est votre enfant préféré parmi les 16 tableaux qui vont être exposés sous peu?  

J.D. : Je vous avoue que j’en ai un, il s’appelle Lightning. Dans cette toile, il y a comme une lumière qui l’enveloppe! Comme un reflet d’eau derrière! Je vous avoue aussi que ce tableau m’a donné du fil à retordre au début. En fait, cette toile est comme un exploit pour moi. Et puis, il y a aussi cette façon dont le personnage regarde du coin de l’œil, c’est songeur! Mais attention! Cet aveu ne veut pas dire que je n’aime pas les autres tableaux.     

S.C. : Non, non! Loin de nous cette idée. Vous passez combien de temps en moyenne sur une toile ?

JD : Difficile de répondre à cette question, dans la mesure où le temps a une autre dimension lorsqu’on peint et c’est très compliqué de le quantifier. Par exemple, parfois, je commence une toile et il y a comme un blocage après. Alors, je la laisse de côté et je commence un autre tableau; je peux en avoir trois en même temps en faisant des va-et-vient entre eux selon mes émotions et mon intuition. Mais ce qui est certain, c’est que je peux passer autant de temps sur une petite toile qu’une grande.   

S.C. : Un peu comme le syndrome de la page blanche chez l’écrivain. Quand on vous dit que vous peignez comme un romancier !

J.D. : (rire)

SOURCE: Soufiane Chakkouche

CRÉDIT PHOTO (en tête de l’article): compte Facebook de Joan Dumouchel