Les chefs des partis fédéraux ont participé au premier débat télévisé en français de la présente campagne électorale le 24 septembre dernier à Radio-Canada. Le conservateur Stephen Harper, le néo-démocrate Thomas Mulcair, le libéral Justin Trudeau, le bloquiste Gilles Duceppe et la chef du Parti Vert Elizabeth May ont tenté de présenter leur plan pour relancer l’économie canadienne mais curieusement, c’est la question du niqab qui a suscité les échanges les plus animés.
« Si un homme ne peut pas dire à une femme comment s’habiller, l’État ne devrait pas dire à une femme comment ne pas s’habiller », insistait Justin Trudeau. M. Duceppe a quant à lui fait valoir qu’il était ici question de l’égalité entre les hommes et les femmes : « L’Assemblée nationale est unanime, 90 % de la population québécoise s’opposait au port du niqab dans les services publics », Il a affirmé que le premier projet de loi que déposerait son parti interdirait le port du niqab, non seulement lors de la prestation de serment aux cérémonies de citoyenneté, mais aussi lors du vote et dans les services publics.
Parmi les sujets traités, il y avait la souveraineté du Québec dont personne ne voulait aborder sauf M. Duceppe, l’avenir du Sénat pour lequel Thomas Mulcair est prêt à rouvrir la constitution canadienne afin de l’abolir, l’économie et les investissements en infrastructures, sujet important pour Justin Trudeau qui a évidemment mis de l’avant sa promesse d’injecter des dizaines de milliards de dollars supplémentaires dans un plan d’infrastructures, mais dont le chef du NPD a soutenu que son adversaire libéral voulait imposer une dette aux générations futures, en promettant trois années de déficit.
Sur le fardeau fiscal des entreprises, Stephen Harper a répété le même discours qui lui a valu du succès lors des derniers scrutins, basé sur des taxes et des impôts bas. En ce qui a trait à la place du Canada dans le monde, Elizabeth May a jugé que les bombardements contre l’État islamiste (ÉI) étaient « inutiles », soulignant que le régime de Bachar Al-Assad tuait huit fois plus de personnes que l’ÉI. Tous les adversaires de Stephen Harper l’ont accusé de ne pas accorder suffisamment d’importance à l’aide humanitaire.
Finalement, la portion environnement et développement des ressources naturelles a donné l’occasion à Thomas Mulcair de reprocher à Stephen Harper d’avoir réduit les exigences environnementales pour les projets, l’accusant de laisser « les compagnies ferroviaires s’inspecter elles-mêmes » et mentionnant au passage les rappels de viande avariée qu’il a attribués aux compressions à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Le chef conservateur a souligné l’importance économique des projets d’exportation de pétrole, qui « créent des emplois des deux côtés de la frontière ».
Deux éléments ressortent de ce premier de deux débats en français. Le premier, c’est qu’il n’a nullement été question des francophones hors Québec dans ces débats organisés par la chaîne nationale de Radio-Canada. Cela représente pourtant plus d’un million d’électeurs au pays. Le second est que le meilleur débatteur et le plus juste dans ces interventions a certes été Gilles Duceppe. Malheureusement pour lui, son parti est à la dérive depuis plusieurs années au Québec. Justin Trudeau n’a pas démontré la même assurance que lors du dernier débat de Calgary en anglais, et Thomas Mulcair a gagné des points avec l’agressivité de ses commentaires envers Stephen Harper et le chef libéral.
Ce qui ressort le plus, c’est le Parti conservateur. Stephen Harper est un politicien doué et un fin stratège. Lors du débat en français, il se défendait sans lever la voix, en hochant la tête de temps à autre, mais toujours en regardant la caméra comme pour montrer aux téléspectateurs que ces adversaires ne peuvent s’entendre sur la marche à suivre pour relancer le pays. Il se plaît dans le rôle du paternel expérimenté et rassembleur qui calme les élans des libéraux et des néo-démocrates, et qui se présente aux Canadiens comme l’option rassurante pour ceux qui craignent les options et les promesses des néo-démocrates et des libéraux.
Les derniers sondages Ekos et Léger sont là pour en témoigner alors qu’à moins d’un mois du scrutin, le Parti conservateur avait fait un bond spectaculaire dans les intentions de vote avec un surprenant 35 %. Une augmentation de six points de pourcentage depuis que le débat sur le serment de citoyenneté à visage couvert a secoué la campagne. Le Parti libéral est deuxième avec 26 % d’appuis et le NPD, troisième à 24 %. Mais selon un autre sondage Léger commandé par The Globe and Mail, les conservateurs et les libéraux sont à égalité à 31 % des intentions de vote. Le seul scénario qui semble se dessiner pour le 19 octobre est l’élection d’un gouvernement minoritaire. Cette option, pour un pays dont l’économie est au ralenti, ne rassurera certainement pas les Canadiens.