La crise pétrolière de 1974 fut une date fondamentale pour le monde du travail. Selon Josiane Boutet, professeure émérite à la Sorbonne et directrice scientifique de la revue de Langage et Société, cet événement a déclenché une transformation complète du milieu du travail en France. Invitée récemment par le Centre de recherches en éducation franco-ontarienne (CRÉFO), Josiane Boutet s’est adressée à une vingtaine de personnes au sujet de ces transformations et les conséquences qui suivirent en matière d’éducation et de formation des employés.
La première de ces conséquences fut un arrêt soudain à l’immigration de travail en France. Les personnes voulant immigrer le feront désormais soit comme réfugiés politiques ou bien par la voie du rapprochement familial. Les écoles françaises vont alors recevoir des enfants qui ne parlent pas français. D’autres rentreront sur le territoire français de façon illégale. La deuxième conséquence fut la tertiarisation des emplois. Le secteur des services va prendre le pas sur le secteur de la production. Les ouvriers deviennent alors des employés. La troisième conséquence fut enfin la robotisation et l’informatisation du milieu de travail. Les chaînes de montage vont être peuplées de plus en plus par des robots. Un employé se chargera de contrôler ces robots au moyen d’un ordinateur.
Les compétences exigées auprès des employés vont naturellement changer, notamment au niveau des attitudes langagières. Il faut dorénavant savoir parler écrire et lire en français dans tous les secteurs du travail. L’employé chargé de la propreté des propriétés des toilettes doit être maintenant capable de remplir un registre nettoyage. Par ailleurs, il est aussi souvent nécessaire de pouvoir lire sur des supports informatiques pour occuper certains postes.
Face à cette nouvelle population et ces nouvelles exigences langagières, l’école française peinera à d’adapter. Josiane Boutet citait un rapport de 1981 révélant que la France comptait entre un et deux millions d’adultes analphabètes. En 2014, une autre étude rapportait que sur les 14 millions d’élèves français, entre 150 000 et 200 000 d’entre eux quittent l’école sans diplôme chaque année. On peut s’inquiéter de ces chiffres alarmants quand on voit la très grande corrélation qui existe entre le niveau d’études atteint et les chances d’obtenir un emploi.
Josiane Boutet s’est intéressée à la langue du travail en France. Quand bien même une loi de 1995 stipule que la langue de la République est le français, la réalité du terrain est tout autre. Le français se retrouve dans certains secteurs côte à côte avec l’anglais, voire bien d’autres langues. L’anglais est devenu absolument nécessaire si l’on veut travailler dans le secteur de la chimie ou du commerce en France. On entend très souvent des langues du bassin méditerranéen dans le secteur du bâtiment ou celui des travaux publics.
Les employés ont dû acquérir de nouvelles compétences. L’employée de mairie est tenue maintenant de répondre de façon courtoise et professionnelle aux personnes qui se présentent à son guichet. Le policier doit remplir des rapports sur tous ses faits et gestes en fin de journée. Pour parer à ces carences, les écoles, les centres de formation des adultes et surtout les associations ont tenté tant bien que mal d’aider les employés à effectuer cette transition. On constate aussi une parfaite corrélation entre les compétences langagières et l’importance du poste occupé. Plus on est élevé dans la hiérarchie, plus on doit lire et envoyer des courriels. Les directives pour un cadre sont ainsi transmises en grande majorité par voie écrite.
À l’issue de la conférence, l’auditoire put poser quelques questions à Josiane Boutet. Certaines de ces questions abordèrent une variété de thèmes, certains propres à la France tels que l’augmentation de l’utilisation de l’anglais, l’interdiction des symboles religieux et le système de méritocratie en vigueur dans le milieu du travail.
Photo : Josiane Boutet