On pourrait penser que l’esclavage est une pratique cantonnée au XIXe siècle et qu’aujourd’hui il a été rayé de la carte. Détrompez-vous, l’esclavage existe toujours de nos jours dans certaines parties du monde, tout particulièrement en Afrique.

 

« L’esclavage est le système le plus partagé au monde », affirme Ibrahim Ag Idbaltanat, président de l’organisation Temedt, venu du Mali exposer ce problème lors d’une conférence à la Bibliothèque de référence de Toronto.

 

M. Ag Idbaltanat estime que près de la moitié de la population dans le nord du Mali vit dans des conditions de vie qui s’apparentent à l’esclavage. Dans un pays où 85 % des personnes sont analphabètes, l’esclavage est transmis par ascendance depuis la nuit des temps, malgré le fait qu’il a été banni durant la colonisation française, puis officiellement interdit lors de l’indépendance du Mali en 1960. Selon un système matriarcal, les enfants d’une mère esclave deviennent eux aussi esclaves. Ils deviennent alors asservis à un maître et ne peuvent jouir d’aucune liberté ni posséder des biens. Dans certains cas, le maître peut abuser de l’esclave pour son plaisir sexuel.

 

« Si tu écoutes bien ton maître, le paradis t’est garanti », insistent souvent certains chefs religieux.

 

Le chaos qui a résulté du mouvement séparatiste, de l’instauration du fondamentalisme religieux et de la sècheresse dans le nord du Mali a contribué à une recrudescence de l’esclavage. « Les pauvres n’ont plus que les yeux pour pleurer », affirme M. Ag Idbaltanat, tout en soulignant qu’en temps de crise ce sont toujours les plus démunis qui souffrent le plus.

 

Profondément traditionnelle et hiérarchisée, la société malienne choisit souvent de garder le silence sur cette pratique. Fondée en 2006, l’organisation Temedt tente, pour employer les termes de M. Ag Idbaltanat, de « sortir la société malienne de l’obscurantisme ».

 

Grâce à des campagnes de sensibilisation au sein de la population, à un plaidoyer soutenu auprès des pays occidentaux comme l’Allemagne, les États-Unis et le Canada et à un programme d’assistanat judiciaire pour aider les esclaves qui ont fui leurs maîtres, Temedt s’est vue remettre le Prix 2012 par l’ONG britannique Anti Slavery International. Son créateur et président, M. Ag Idbaltanat, fut parrainé en 2008 par Ashoka, une fondation américaine qui récompense les personnes qui œuvrent pour le progrès social à travers le monde.

 

« Chez nous, parler de soi même, c’est de la vanité », confie avec quelque peu de gêne M. Ag Idbaltanat en préambule à sa courte autobiographie en tant que défenseur des droits humains. Frappé par les injustices flagrantes que subissaient ses concitoyens durant son enfance, ce Touareg noir issu d’une famille d’esclaves du nord du Mali fut « recruté », c’est-à-dire pris contre la volonté de ses parents, par les autorités, pour faire des études. Il décida alors de mettre son éducation à contribution pour améliorer le sort des esclaves.

 

« Je me suis cependant rendu compte qu’il s’agissait d’un combat entre un éléphant et de la paille », avoue-t-il. Ce combat qu’il mène depuis 30 ans a finalement mené à la création de Temedt en 2006, suite à un forum qui ressembla 3500 personnes à Ménaka (région de Gao). Fidèle à ses préceptes de solidarité et de tolérance, l’organisation met l’accent sur le dialogue et la réflexion. Les maîtres d’esclaves sont aussi invités à réfléchir sur le problème. M. Ag Idbaltanat estime d’ailleurs que 70 % des libérations d’esclaves ont été effectuées grâce à la coopération des maîtres eux-mêmes. Forte aujourd’hui de 14 000 membres, Temedt tente de faire pression auprès des autorités maliennes pour que l’esclavage soit reconnu comme un délit dans le code pénal.

 

M. Ag Idbaltanat s’empresse d’ajouter que les pays occidentaux peuvent aider Temedt à briser le cycle de l’esclavage en exerçant eux aussi des pressions auprès du gouvernement du Mali. Il semblerait que son appel fut entendu puisque Yveline Baranyi, présidente de la section torontoise d’Amnistie internationale et présente à la conférence, compte engager une campagne de soutien à cette noble cause.  

 

Photo: Ibrahim Ag Idbaltanat