Leila Schneps, mathématicienne américaine et chercheuse au Centre national de recherche scientifique ayant étudié à Harvard et à l’Université de Paris, a découvert en 1991 les écrits de Grothendieck, « le plus grand mathématicien du XXe siècle », comme il se fait souvent appeler, et travaille depuis à les faire connaître. L’institut Fields et l’Alliance française l’ont invitée, le mercredi 9 décembre, à partager son admiration pour ce grand penseur lors d’une conférence intitulée La passion de l’absolu.

Elle a d’abord présenté la vie d’Alexandre Grothendieck (1928-2014) selon quatre phases majeures, allant de son enfance en passant par sa carrière de mathématicien, sa grande influence dans les mouvements écologistes et la fin de sa vie, consacrée à l’écriture de ses mémoires. Elle fut alors à même de dresser un portrait de ce grand homme à un auditoire tout à fait captivé. « J’essaie de partager sa pensée et sa merveilleuse écriture », confie-t-elle.

Né de parents anarchistes à Berlin, Grothendieck vécut une enfance heureuse dans la liberté presque totale, ce qui lui aurait permis de développer un côté créatif non réprimé par les conventions sociales. « Il voyait les choses claires et évidentes que les autres ne voyaient pas », ajoute-t-elle. Sa plus grande contribution fut d’ailleurs sa capacité à penser en schémas abstraits tout en s’éloignant des objets concrets, ce qui semble à priori être une démarche inversée lorsqu’il s’agit de mathématique. 

Tout, pour lui, était matière à apprendre. Il avait coutume de dire : « Quand vous voyez une erreur dans ce que vous faites, il faut exulter ». Il fit non pas une, mais deux thèses à Nancy après quoi il eut son propre séminaire à l’Institut des hautes études scientifiques, et ce, avant de rompre avec sa vie telle qu’il la connaissait, d’aller enseigner au Viêtnam, puis de partir vivre en commune. 

Il eut un regard très critique sur sa carrière de mathématicien, qu’il caractérisa de « stagnation spirituelle ». Il trouva ces années presque vaines, réalisant que l’être humain détruisait la terre et qu’il fallait faire quelque chose pour contrer ce massacre écologique. « L’existence du mal [dans toutes ses formes] le tourmentait, expliqua Leila Schneps. Il se demandait comment les gens pouvaient vivre avec ça sans avoir un désir de changer le monde. » Ainsi, il créa le mouvement écologique Survivre et Vivre en 1970. « Des gens comme lui, c’est comme des lumières sur notre terre […] qui nous permettent de voir », affirme la conférencière.

Enfin, il quitta son propre mouvement en 1973, se réfugia dans le sud de la France et entreprit d’écrire sur sa vie et sur les gens qui l’inspiraient, « car il croyait que pour voir clair malgré l’écran égotique, il faille travailler sur soi ». De ces écrits sont entre autres nés Récoltes et Semailles et La clé des songes, malheureusement pas encore publiés à ce jour. 

Photo: Leila Schneps