La jeune Estrella conçoit la gestion de l’anglais, du chinois et du français comme un ensemble de petites boîtes qui se remplissent et se vident au fur et à mesure qu’elle en fait l’acquisition. Lorsqu’un mot est perdu ou oublié, un concierge les met alors tout simplement à la poubelle. Un autre enfant estime que la lettre « ñ » (eñe), tirée de l’alphabet espagnol, n’est finalement qu’un extraterrestre. Cet enfant fournit la même explication pour le fait que « ent » en français est parfois silencieux et d’autres fois pas.

Ces propos livrés verbatim aux quelques personnes qui assistèrent à la conférence sur le plurilinguisme et les littératies multiples donnée par Diana Masny, professeure émérite à l’Université d’Ottawa et professeure associée à l’université australienne de Queensland, donnèrent un bref aperçu de ce qui peut bien se passer dans la tête d’une jeune enfant trilingue. Invitée par le Centre de recherches en éducation franco-ontarienne (CREFO), Diana Masny peut partager le résultat de ses recherches sur les liens qui existent en particulier entre le plurilinguisme et l’apprentissage de l’écriture à l’école.

Après avoir expliqué les principes qui soutiennent la théorie des littératies multiples (TLM), Diana Masny eut l’occasion de décrire une étude menée auprès de cinq jeunes élèves dans des écoles francophones de la région d’Ottawa. À l’écoute de l’analyse des résultats de cette enquête, on se rend vite compte que les différentes formes de littératies que ces jeunes ont acquises se chevauchent et s’entremêlent. Les barrières entre les diverses langues finissent par
s’estomper.

Certains enfants élevés dans des contextes plurilinguistiques semblent acquérir simultanément plusieurs systèmes d’écriture qui reposent non seulement sur des langues différentes mais aussi sur d’autres codes comme le langage mathématique. L’enseignement tel qu’il est prodigué par l’école traditionnelle ne sait pas toujours composer avec une telle diversité et un tel degré de complexité. Que faire lorsqu’un élève ne répond pas directement à la question posée par son enseignant? Comment ce même enseignant doit-il alors réagir face à l’imprévisibilité? Quelles stratégies doit-on employer sachant que chaque enfant est différent? Autant de questions auxquelles la théorie de littératies multiples essaie d’apporter quelques réponses.

L’auditoire ne manqua non plus de poser quelques questions pertinentes. Que doit-on penser des gens qui se définissent comme n’étant ni Anglais ni Français mais bilingues? Avons-nous tous une langue dominante ou bien est-il souhaitable d’en avoir une? Les réponses à ces questions prennent une importance considérable quand on sait que nous vivons dans une société de plus en plus plurilinguistique et pluri-ethnique.

Photo : La conférencière Diana Masny