Le réputé journaliste québécois Alain Gravel, animateur de l’émission Enquête à Radio-Canada depuis sept ans déjà, était le conférencier au déjeuner du 16 octobre du Club canadien de Toronto. M. Gravel a parlé du travail de journaliste d’enquête, notamment dans le scandale de l’industrie de la construction au Québec, ainsi que les difficultés de cheminer dans une société où les gens fortunés ont les moyens de museler la presse. Au cours de ses enquêtes, il a pu démontrer que le Québec n’était pas la seule province à être corrompue et infiltrée par la mafia, mais que l’Ontario l’était également.
Il a expliqué sur son blogue au cours de la dernière année, et dont il a bien résumé l’historique pour le temps qui lui était alloué au Club canadien, que « la mafia de Montréal est plus faible que celle en Ontario, qui s’appuie sur neuf cellules liées à la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise.
« C’est la mafia la plus puissante au monde, plus que la Cosa Nostra sicilienne dont se réclame le clan Rizzuto. La ‘Ndrangheta est plus discrète. Mais bien plus efficace. »
Il a rencontré en Italie au cours de la dernière année quelques-uns des plus grands procureurs antimafia qui l’ont tous mis en garde en affirmant que Montréal n’était plus aussi importante qu’autrefois dans le giron mafieux international. Qu’il fallait regarder en direction de l’Ontario. D’ailleurs, plusieurs indices laissent croire que la ‘Ndrangheta ontarienne a son mot à dire sur ce qui se passe à Montréal.
D’après les renseignements reçus par Alain Gravel, il y a eu de nombreuses visites de mafieux montréalais à Toronto ces dernières années aux fins de « consultation ». Notamment, Salvatore Montagna, désigné par la famille Bonnano de New York, qui a fait le détour vers Toronto avant de tenter de succéder à Vito Rizzuto en s’appuyant sur un consortium de divers clans. Vito Rizzuto lui-même a séjourné dans la Ville reine avant de revenir à Montréal.
« Certains nous ont écrit en disant qu’il était faux de dire que le Canada n’avait pas les outils législatifs nécessaires pour contrer la mafia, indique M. Gravel. C’est vrai que nous avons depuis 1997 une loi antigang. Mais selon les experts que nous avons consultés, cette loi est fort différente de celle que les Italiens ont adoptée. Au Canada, pour être jugé en vertu des dispositions antigang, il faut poser un geste criminel au sens du Code criminel. Être membre d’une bande criminalisée n’est pas un crime en soi.
« La loi anti-association mafieuse italienne est beaucoup plus large que la loi antigang canadienne. Son application s’appuie sur une riche jurisprudence, ce qui n’est pas le cas au Canada. Ces experts canadiens et italiens nous ont expliqué d’une part que la loi italienne est spécifique à la mafia, contrairement à la loi canadienne. De plus, l’application de la loi italienne réfère à la notion très large de l’intimidation. Elle permet donc d’arrêter beaucoup plus facilement des criminels associés à la mafia. »
Si bien que les autorités canadiennes refusent parfois d’extrader des gens soupçonnés d’appartenir à la mafia, en affirmant ne pas reconnaître la loi anti-association mafieuse italienne.
C’est pour cette raison qu’une dizaine de personnes d’origine italienne et bénéficiant d’un statut au Canada, contre qui les autorités italiennes ont lancé des mandats d’arrestation, vivent paisiblement à Toronto sans être inquiétées par la police canadienne. Un dossier passionnant sur lequel M. Gravel a passé beaucoup de temps au cours des deux dernières années.
À Radio-Canada, Alain Gravel a été animateur de l’émission Enjeux et reporter à l’émission Le Point. Il a commencé sa carrière dans les années 70 et 80 à la radio, notamment à CKAC à Montréal. Il a également travaillé à la télévision privée, à TVA. Il a touché à toutes les facettes du métier de journaliste et a remporté entre autres six prix Gémeaux, un prix Artis, trois prix Judith-Jasmin de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et le prestigieux Tara Singh Hayer Memorial Award du Canadian Journalists for Free Expression.
Photo : Alain Gravel