Le mercredi 27 novembre, l’Alliance française a accueilli Anne Nenarokoff-Van Burek pour la deuxième des conférences organisées par la Société d’histoire de Toronto. L’écrivaine torontoise est venue parler de son récent livre Le fil d’Ariane, un touchant regard sur les femmes de sa famille. « Ce livre est un hommage aux grandes femmes de ma famille. Trois générations nées en Russie, elles ont dû fuir la Révolution de 1917 et s’installer en France, explique-t-elle. Du jour au lendemain, ces femmes se sont retrouvées dépossédées de tout, mais toujours en vie et toujours ensemble. Quelle force de caractère, quels exemples, quel cadeau! »
Arrivée à ce moment dans la vie que l’on connaît, ou connaîtra, tous un jour, où la question intemporelle de savoir qui nous sommes vraiment appelle une urgente réponse, l’auteure s’est tournée vers ces fortes figures féminines. « Ces femmes, je les vois aujourd’hui comme des géantes, des bonnes fées qui m’ont guidée. Elles m’ont inspirée, chacune à leur manière : talent musical, don pour les langues, habileté manuelle, générosité, capacité d’adaptation. Ma mère, mais surtout mes tantes et ma grand-mère m’ont fait don de leur talent pour la survie et le bonheur. »
Au gré de vieilles photos de familles projetées en fond, Anne Nenarokoff-Van Burek revient avec tendresse et clairvoyance sur cette galerie de personnages hauts en couleur, au destin incroyable. Il y a les tantes : Véra la sévère qui l’initiera à l’art et Maroussia la joviale; Kira qui travaillera pour l’AFP en Australie et Tatoussia qui vivra jusqu’à 105 ans. Elle évoque aussi sa gouvernante Petroshenka, qui lui apprendra à parler un russe soutenu dès l’âge de deux ans, alors que la famille vit à Oissel, près de Rouen. Sa grand-mère est également une influence certaine pour l’écrivain, par son caractère autant que par son parcours incroyable : mariée à 20 ans au début du XXe siècle avec une dot d’un million de roubles, elle devra fuir durant la révolution, passera par Constantinople et l’Égypte avant d’arriver en France.
Ce parcours extraordinaire n’empêchera jamais cette musicienne émérite (Prix de piano au conservatoire de Moscou) de garder une énergie débordante. « C’était quelqu’un larger than life, explique Anne Nenarokoff-Van Burek. Elle parlait fort, roulait les « r », jouait merveilleusement bien du piano et se fichait pas mal de ce que les gens pouvaient penser. Le soir, à la maison, c’était toujours la nouba! »
À travers les femmes de sa famille, c’est son histoire personnelle mais aussi un instantané des exilés russes de la Grande Révolution dont l’écrivaine torontoise fait le récit, sans jamais tomber dans la complainte. « Toutes ces femmes m’ont façonnée. Je connais la part de souffrance dans leur vie et j’admire le fait que, malgré les erreurs, il n’y a jamais eu de jugements ou d’amertume par rapport aux événements tragiques qu’elles ont vécus. J’admire aussi leur faculté à rebondir chaque fois qu’elles ont tout perdu. Les femmes de ma famille sont mon fil d’Ariane. J’ai voulu les conjurer avant que le fil ne se rompe pour de bon. »