Lundi 25 février, la soprano Lorna MacDonald et le pianiste Henri-Paul Sicsic se retrouvaient sur la scène du Walter Hall de l’Université de Toronto. Intitulé « Fête galante »,
le programme a permis de poser un nouveau regard sur des textes de Verlaine, Banville ou Mallarmé, habillés des musiques de Ravel, Fauré et Debussy.

Dans le cadre feutré du Walter Hall, Henri-Paul Sicsic débute seul au piano en interprétant Menuet antique de Maurice Ravel, noble et élégant. Lorna MacDonald le rejoint pour Cinq mélodies populaires grecques. À propos de son ballet Daphnis et Chloé, Ravel disait qu’il était « moins scrupuleux pour des archaïsmes que fidèle à la Grèce de ses rêves » : ces cinq chansons sont des cartes postales imaginaires, sortes d’instantanés d’une Grecque fantasmée. Après les doux Le réveil de la mariée et Là-bas vers l’Église, la mélodie de piano espiègle accompagne à merveille la voix limpide de Lorna Mac Donald sur Quel Galant. Chanson des cueilleuses de lentisques est plus lent, le thème répétitif et roulant du piano rappelle le geste des paysannes coupant le tronc de l’arbuste pour en récolter le mastic. Ces Cinq mélodies populaires grecques finissent dans l’allégresse avec Tout gai! qui permet d’apprécier la prestation plein d’humour de Lorna MacDonald.

Henri-Paul Sicsic poursuit ensuite avec la sublime Nocturne No 1 en mi bémol mineur de Gabriel Fauré. Entre passages calmes et envolées, le jeu du pianiste emporte le public vers quelque chose proche du temps suspendu cher aux noctambules. Suivent quatre chansons que Fauré a composées en se basant sur des textes de Paul Verlaine, Armand Sylvestre et Leconte de Lisle. Mandoline, écrite alors que le compositeur français séjournait à Venise et dont le texte est tiré des Fêtes galantes de Verlaine, et Puisque l’aube grandit, également sur un texte du poète symbolique, mettent en lumière la surprenante adéquation entre la musique de l’un et le texte de l’autre. Le triste Automne permet d’apprécier tout le coffre de Lorna MacDonald avant que Nell et son histoire d’amour transi (« La chantante mer, le long du rivage, taira son murmure éternel / Avant qu’en mon coeur, chère amour, Ô Nell, ne fleurisse plus ton image ») n’emmène les spectateurs vers l’entracte.

Le concert recommence avec Henri-Paul Sicsic seul au piano pour interpréter Clair de Lune et Ménestrel de Claude Debussy. Le lien avec les poètes est plus subtil : pour écrire la Suite bergamasque dont est issu Clair de Lune, le compositeur français s’était inspiré de la poésie de Verlaine. L’interprétation toute en retenue d’Henri-Paul Sicsic sert à merveille la mélodie lente, une pluie de notes coulant le long du clavier, avant cette fin qui suspend son vol, toute en finesse et en légèreté. Le pianiste enchaîne brillamment avec Ménestrel, composition plus enlevée où sa technique remarquable éclate, ses doigts frappant les touches comme un chat une pelote de laine. Lorna MacDonald le rejoint alors pour la dernière partie du concert, une série de sept petites chansons inspirées de textes de Banville, Verlaine, Mallarmé et Bourget.

Peuplées pour beaucoup de personnages de la commedia dell’arte, les histoires que chante la soprano parlent d’amour de façon certes désuète mais en tout point charmante (notamment dans Apparition, sur un texte de Mallarmé : « Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté passait / Laissant toujours de ses mains mal fermées neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées »). Un concert qui, lui aussi, aura été en tout point charmant.