L’un des secteurs les plus touchés par la pandémie de la COVID-19 et l’un des derniers à n’avoir toujours pas ouvert complètement ses portes au public est la culture en général et celui des galeries d’exposition en particulier. Souffrant d’une réputation de proximité, voire d’intimité avec leur public, ces dernières ont subi et continuent de subir de plein fouet les effets de la pandémie à cause de cette même renommée qui faisait jadis leur fierté.

Pour en avoir le cœur net et essayer d’évaluer l’ampleur du phénomène à Toronto, nous avons sollicité Sylvain Landry à la tête de la Galerie Thompson Landry pour une interview. Voilà qui tombe à point nommé puisque la galerie vient de célébrer ses 15 années d’existence avec une exposition de groupe rassemblant 15 artistes et plus de 60 œuvres triées sur le volet.

S.C. : Vous venez de célébrer le 15e anniversaire de la création de la Galerie Thompson Landry de Toronto. Pour marquer le coup, vous proposez jusqu’au 22 août une exposition spéciale, pouvez-vous nous en dire plus?

S.L. : Il s’agit d’une sélection de 15 artistes à qui on a demandé, sans limite aucune, de réfléchir à des créations nouvelles pour marquer ce 15e anniversaire. Vous pouvez voir actuellement dans nos deux galeries un show mixte de ces travaux. Ces 15 artistes sont, bien entendu, loin de représenter tous ceux qu’on a exposés ou qu’on continue à exposer durant ces 15 ans d’existence.

S.C. : On est en train de traverser l’une des pires crises de l’histoire de l’humanité, quel impact a eu la pandémie sur votre activité? Peut-on avoir quelques chiffres représentatifs comme la diminution du chiffre d’affaires ou autre?

S.L. : C’est très difficile de quantifier cet impact en chiffre à ce stade, mais je peux vous dire une chose. On a dû travailler très dur ces 15 ou 16 derniers mois pour maintenir l’activité alors que nos obligations financières n’ont pas été réduites avec la pandémie. Ceci dit, on a perdu la majorité de nos employés durant cette période. Il a fallu réinventer de nouvelles façons de se connecter avec la clientèle parce que ni cette dernière ni nous n’étions préparés à cette crise. Mais globalement, on était chanceux et on s’en est sorti avec le moins de dégâts possible parce qu’on avait une bonne clientèle internationale et canadienne qui s’est montrée solidaire. Je vous mentirais si je vous disais qu’on n’a pas senti la crise de la COVID-19. On l’a sentie et très sérieusement.

S.C. : Justement, avez-vous reçu de l’aide, des appuis et/ou accompagnements de la part du gouvernement fédéral ou provincial afin de faire face à la COVID-19 en attendant des jours meilleurs ?

S.L. : Par rapport à ce sujet, on ne peut qu’être reconnaissants envers le gouvernementparce qu’il y a eu dès le départ des prêts garantis par celui-ci et des aides concernant, par exemple, le paiement des loyers qui sont extrêmement onéreux dans le centre-ville. Il est vrai que des fois, ce n’était pas toujours parfait et que ces aides n’étaient pas adéquates et adaptées au cas par cas, mais il y a eu une réelle volonté d’aider de la part du gouvernement. Ceci dit, il faut signaler que ces soutiens sont en train de diminuer graduellement et c’est à la fin qu’on va mesurer l’ampleur des dégâts et qu’on réalisera qu’il y a beaucoup d’entreprises qui seront incapables de se relever et mettront la clé sous la porte.

S.C. : À ce propos, vous ne pensez pas plutôt que les gens vont investir dans l’art comme une valeur refuge et que le secteur ne peut que mieux se porter dans l’avenir? D’une part, parce que plusieurs études ont démontré que lors des grandes crises, de grandes institutions financières investissent dans l’art, pour ne citer que celles-là.

D’autre part, durant celle de la COVID, les gens ont épargné beaucoup plus que d’habitude, c’est ce que les économistes appellent « l’épargne COVID », car ils ne sont pas allés au restaurant, ils n’ont pas voyagé, etc. Par conséquent, ils peuvent s’offrir les tableaux de leurs rêves par exemple. D’après vous, c’est valable comme théorie?

S.L. : En théorie, vous avez raison parce que, contrairement aux actions à la bourse, la valeur d’un tableau d’un artiste qui a fait sa place dans le marché ne va pas se déprécier, au contraire, et ce malgré les crises. C’est ce qui explique que pendant les périodes de crises économiques majeures, beaucoup d’institutions financières, comme les assurances, les banques ou même des firmes d’avocats, se jettent sur les produits artistiques comme valeur refuge. Néanmoins, je dois vous dire que la crise de la COVID a été plus apeurante que les précédentes pour ces gros investisseurs que sont les institutions financières. Pour le moment, on ne voit pas ce phénomène se reproduire. Le support qu’on a eu vient plus de la clientèle habituelle, celle qui n’est pas issue du monde des affaires.

S.C. : Selon vous, quel avenir attend l’art en général et celui des salles d’exposition comme la vôtre après la COVID?

S.L. : Je vais vous répondre avec une crainte. Ce qui me fait peur dans l’avenir des expositions et des arts en général, c’est le changement du comportement du consommateur des arts. Je suis aussi musicien, chef d’orchestre et directeur artistique et le constat est le même : l’âme des gens est présentement comme éteinte. Comment est-ce qu’on va être capable de rallumer cette passion? C’est la question qui se pose. Il y a une fatigue sociale et culturelle générale qui s’est installée, parfois j’ai presque peur que les gens aient oublié comment avoir du plaisir, comment profiter de la vie. Ce constat est valable pour la musique comme pour les arts visuels ou tout simplement pour aller au restaurant ou au musée.

J’ai remarqué que la clientèle artistique a développé une habitude forcée de consommer la culture derrière un écran. Ça nous amène à nous poser de sérieuses questions! Là par exemple, nos galeries sont ouvertes depuis juin dernier avec une restriction de capacité d’accueil qui ne doit pas dépasser 25 %, mais ça ne nous pose pas de problème parce qu’il n’y a toujours pas tant de gens que ça qui sortent encore. Notre clientèle n’est toujours pas revenue.

S.C. : De sérieuses questions comme : l’avenir de l’art sera-t-il numérique, et aux oubliettes cette belle atmosphère intimiste qu’on retrouve dans les galeries et qu’on n’aura jamais derrière notre si cher écran?

S.L. : Vous avez totalement raison. Comme je vous disais, j’ai un peu peur que les gens aient perdu l’habitude de vivre et de consommer en culture et en art comme ils le faisaient avant la pandémie, puisque ce changement de comportement veut que ce ne soient plus les gens qui vont vers l’art mais c’est celui-ci qui vient à eux à travers un écran. À titre d’exemple, aujourd’hui, on constate de plus en plus de clients qui achètent leur peinture sur internet.

S.C. Êtes-vous en train de dire que, in fine, la culture et l’art ne seront pas et n’ont jamais été essentiels?

S.L. : Je n’irais pas jusqu’à dire cela. L’art a toujours été et continue d’être absolument essentiel pour l’humanité. Pour revenir à cette histoire de la COVID, il y a un autre côté de la médaille, c’est que – durant cette période – l’art n’a jamais été aussi surexposé grâce aux moyens numériques et électroniques. Peut-être que les moyens de le consommer seront différents dans le futur, mais l’art ne s’arrêtera jamais.

SOURCE – Soufiane Chakkouche

PHOTO (courtoisie de Sylvain Landry) – Sylvain Landry, copropriétaire de la Galerie Thompson Landry, devant un tableau de l’artiste montréalais Sylvain Coulombe intitulé Parfois les petits détails cachent de grandes œuvres.