Immigrer au Canada est un processus complexe dont l’un des éléments clés consiste en un examen médical obligatoire. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés comprend en effet une clause sur l’inadmissibilité médicale qui balise les critères déterminant si l’état de santé d’un immigrant potentiel représente un poids pour le système de santé ou un risque de contamination pour les autres. Si c’est le cas, sa demande sera rejetée.
Le 15 janvier dernier, à l’Alliance française, une causerie organisée en partenariat avec la Société d’histoire de Toronto a permis à l’assistance d’en apprendre davantage sur le sujet et d’amorcer une réflexion sur la nécessité et l’équité d’une telle disposition légale. Pour la conférencière Laura Bisaillon, sociologue à l’Université de Toronto, la réponse à cette interrogation s’impose d’emblée : non, pareilles restrictions ne sont pas indispensables et leur abolition serait la bienvenue.
C’est sous un angle humaniste que Mme Bisaillon a amorcé sa conférence en présentant une vidéo de cinq minutes sur le cas d’un petit garçon atteint du syndrome de Down (trisomie 21) et dont la famille immigrante a eu maille à partir avec Immigration Canada. Pourtant, l’enfant ne nécessitait pas de soins médicaux particuliers, son père était professeur d’université et sa mère enseignait la danse. La famille ne dépendait donc nullement du soutien de l’État. Ce cas vécu a permis de mettre un visage sur une problématique qui peut être perçue comme une abstraction bureaucratique et de démontrer que l’inadmissibilité pour des raisons médicales mène parfois à des absurdités.
Laura Bisaillon s’est aussi attardée sur le cas du VIH/sida dont les porteurs sont à risque d’être stigmatisés dans la foulée de l’examen médical obligatoire qui se déroule à l’extérieur du Canada. Le processus d’immigration considère le VIH/sida sous l’angle purement médical sans tenir compte du contexte socioéconomique, ce qui est une erreur selon la sociologue. Qui plus est, de façon générale, la relation simplement bureaucratique qui s’établit entre le médecin responsable de l’examen et l’immigrant potentiel peut être contraire aux principes éthiques et professionnels qui guident l’exercice de la médecine.
Comme elle l’a expliqué à son auditoire, Mme Bisaillon considère que l’inadmissibilité médicale est un problème à cinq égards. D’abord, le Canada fait figure d’exception parmi les pays développés, a-t-elle rappelé : « La vaste majorité des 34 pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), y compris ceux qui sont des pays d’immigration ainsi que ceux qui ont un système de santé financé par les deniers publics, accordent la résidence permanente aux immigrants, sans égard à leur état de santé, à leur constitution génétique ou au fait qu’ils présentent un trouble du développement. »
Ensuite, bon nombre de candidats à l’immigration refusés pour des raisons médicales sont non seulement aptes à travailler, mais leur exclusion ferme la porte à leurs proches qui eux aussi pourraient contribuer à la société canadienne. Cette disposition de la loi contrecarre la raison même de l’immigration.
De plus, le Canada manque à ses engagements en matière d’équité, de droits de la personne et de lutte à la discrimination avec cette clause.
Dans la même veine, le Canada catégorise ces personnes comme représentant un « risque » ce qui n’est souvent pas le cas.
Finalement, pareille politique est dégradante pour ceux qui en font les frais et le Canada se prive de cette façon de gens qui ont quelque chose à offrir à la société.
En 2018, La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a été assouplie en ce qui touche à ces dispositions médicales. N’empêche, l’essentiel est toujours en place. « Alors que les Canadiens manifesteraient dans la rue si notre système fédéral d’immigration refusait certains candidats à cause de leur race, comme il l’a fait jadis, l’exclusion fondée sur des critères de santé ou de développement demeure », se désole Laura Bisaillon. C’est donc à un vaste exercice de réflexion que la sociologue a invité non seulement le gouvernement, mais aussi son auditoire.
PHOTO : L’assistance comprenait une forte cohorte du Collège Boréal.