Avec la plateforme Zoom, c’était certes un lancement de livre un peu moins festif qu’à l’ordinaire mais avec la dizaine de participants passionnés regroupés pour l’occasion, le lundi 22 février, les Éditions David ont réussi haut la main à souligner l’accouchement du troisième roman du Franco-Torontois d’origine marocaine Soufiane Chakkouche.
En fait le mot « accouchement » convient d’autant plus que l’histoire de Zahra telle que racontée, commence par sa naissance clandestine dans un poulailler, près de Casablanca au Maroc. C’est ainsi que Zahra accroche le lecteur dès les premières pages.
« Un récit palpitant, une cascade d’événements et des choses qui tournent mal », résume Marc Haentjens, le directeur des Éditions David, qui s’exprime toujours en termes plutôt vagues afin de s’assurer de ne pas trop en dire pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur.
« Issue d’une région pauvre du sud du Maroc, Oumaya, est vendue par ses parents à une souteneuse de Casablanca pour se retrouver finalement dans une famille bourgeoise de la capitale. Là, la « petite bonne à tout faire », qui prendra des formes avec les années, deviendra la victime des viols à répétition par son « maître » (et géniteur de Zahra). D’ailleurs, lorsque Oumaya se retrouve enceinte de lui, le chef de cette famille – Lhaj Nekary – décide d’adopter Zahra qui sera traitée comme une jeune fille libre et bourgeoise, et renvoie Oumaya dans son village », résume M. Haentjens. Mais la vie n’a pas dit son dernier mot!
« Il s’agit d’une peinture très dure d’une société très inégalitaire, ajoute le directeur général des Éditions David. Ce n’est pas un livre facile, ni un roman à l’eau de rose. »
« C’est ce que je voulais montrer dans ce roman, l’injustice sociale, ajoute son auteur Soufiane Chakkouche. Ce sont des choses qui existent vraiment. J’ai grandi au Maroc dans les années 1980-90 et j’ai assisté à des choses comme ça. Même si une loi a été votée contre le travail des enfants, il y a tout un fossé entre le papier et le terrain. »
L’auteur se rappelle que lorsqu’il était jeune, quand il allait chez un oncle, une tante ou dans la famille d’un ami, il était normal de voir une enfant faire le ménage alors que maintenant, ce n’est plus le cas. « Ce ne sont que des exceptions », confirme-t-il.
Selon la Human Rights Watch, il y aurait 60 000 enfants au Maroc qui travaillent dans des conditions abominables. Avec Zahra, l’auteur a voulu rendre hommage à ces « petites bonnes ». « Tous les Marocains de ma génération connaissent ça. Je souhaite qu’on soit tous égaux, au Maroc ou au Canada », ajoute-t-il, en toute humilité et visiblement très ému.
Puis, Soufiane Chakkouche a lu un court extrait des premières pages du roman, où il décrit la venue au monde de Zahra. Une lecture qui a permis aux participants en ligne d’apprécier l’écriture fluide de l’auteur.
Pour Marc Pelletier, directeur littéraire des Éditions David et qui avait déjà lu Zahra plus d’une fois, cette histoire touchante évoquait une trame cinématographique et n’a pu résister à demander à l’auteur où il puisait son inspiration.
« Mon inspiration, c’est la rue. En fait, la vie m’inspire plus que la rue, confie M. Chakkouche. Le Maroc, c’est un puits sans fond. Nous avons une tradition de raconter des histoires. Un chauffeur de taxi pourra facilement vous raconter deux ou trois histoires en 10 minutes », atteste-t-il. Quant à son écriture imagée, l’auteur confirme qu’il visualise toujours la scène avant de la mettre sur papier.
Quant à l’aspect historique du roman, c’est Fernande Chouinard, une auteure de la Péninsule acadienne, qui l’a fait ressortir en s’interrogeant sur sa nécessité dans cette histoire touchante.
« Pour rapporter les injustices, il faut braquer la lumière dessus. Au Maroc, il y a beaucoup de censure et on n’est pas libres d’écrire ce que l’on veut. Par contre, avec une œuvre fictive, tout est permis », rapporte M. Chakkouche, visiblement fier d’avoir étaler cette injustice et autres problèmes sociétaux par l’entremise des personnages de Zahra.
Au moment du lancement, l’auteur ignorait si son roman serait publié dans son pays d’origine mais confie qu’il ne s’y objecterait pas.
D’ici là, bonne lecture!