La Nuit Blanche, ce sont ces grandioses installations du centre-ville, mais aussi une fête de la contre-culture. Tout dépend du quartier. Direction Ouest-Queen-Ouest pour un rendez-vous avec le bizarre, le merveilleux, le glauque, l’intrigant et le sublime.

« 12 heures de bus, 12 heures de villes. On est arrivés à 18 h 30, on part à 6 h 30 demain matin. » Roderic et ses copains ont dû être dans un drôle d’état, en arrivant à Montréal, vers midi, dimanche. « L’an dernier, j’étais à Toronto pour la Nuit Blanche. J’ai adoré. Donc j’ai voulu y revenir cette année, avec des amis. Là, on vient de dîner, mais on est dehors jusqu’à l’aube! » Chaussures de sport, blouson de ski (avec encore l’étiquette des remontées mécaniques), sac à dos, et gourde à la main, remplie d’une boisson mystérieuse, le voilà paré pour la nuit. 

L’hydratation, quand on marche, c’est important. Et puis, ça réchauffe. La plupart des amoureux des arts l’ont compris. Il y a plusieurs écoles. L’élégante et discrète flasque, la gourde furtive, ou les arrêts aux bars bien remplis. 

Pour faire court, le soir de la Nuit Blanche, Parkdale était vide. Même les bars n’affichaient pas leur content de fêtards. Pour voir du monde, il fallait traverser la voie ferrée. De l’autre côté du pont, le Gladstone, majestueux, comme d’habitude, grouillait de monde. À l’intérieur, deux concerts, une projection, deux expositions, deux installations, un dj et une performance du collectif Abstractus, composé de Mauricio Velez et Ximena Steevens. L’homme, torse nu, un masque de lutteur mexicain sur le visage, et la femme, coiffée d’un chapeau noir, se livrent à une lente chorégraphie silencieuse. Avant de s’étreindre, sans un sourire, sans un mot, puis de s’embrasser à pleine bouche. La fébrilité est palpable. Les gens filment avec leurs téléphones. 

Le Drake est tellement plein qu’il est impossible d’y entrer sans faire la queue. Un local est accessible. Un brouillard et un jeu de lumières rendent l’ambiance étrange, surréelle, inquiétante. Plus loin dans la rue, une machine musicale infernale. Nous sommes invités à taper dessus avec des bâtons, à faire de la musique collectivement. Le résultat est assez inaudible, mais on s’amuse bien. Roderic est perché tout en haut et tape en rythme, sourire aux lèvres. 

Plus loin, des graffeurs finissent une grande fresque, perchés sur un toit, d’autres en commencent. Le Musée d’art contemporain n’est pas loin, il charge et décharge son flot de visiteurs. Exceptionnel.

L’automne est arrivé d’un coup, vers 1 heure du matin. Dans le parc de Trinity Bellwoods, une cérémonie amérindienne, et une exposition originale sur les réfugiés syriens au Liban. Dans un container, des photos. Nous sommes invités à recevoir des textos traduits en anglais. Un échange banal entre deux cousins. L’un est en Syrie sous les bombes, l’autre dans un camp de réfugiés de l’autre côté de la frontière. Poignant.

Sur le trottoir, un concert sauvage. Au premier rang, en transes, Roderic, évidemment. Et ses amis. Toujours la gourde à la main, et un grand sourire aux lèvres.

Parfois, le Canada fait une entorse à son esprit de consensus et s’étripe sur des sujets de débats houleux. Parmi ceux-ci, le fédéralisme, le bilinguisme, mais aussi la poutine. Les puristes la préfèrent toute simple, avec des morceaux de fromages non-fondus et de la sauce brune. Les audacieux l’aiment avec de la saucisse, des oignons, du bacon et mille autres produits cholestériques. Mais la vérité, c’est que peu importe sa composition, la meilleure poutine du monde est celle qui se mange entre 2 h et 4 h du matin, quand vient cette fameuse fringale des nuits blanches. C’est le moment de se diriger vers l’intersection Bathurst et Dundas, pour une poutine nocturne. Marc en sert, justement. Ce Québécois s’est fait connaître pour ses crêpes. Un peu plus loin, on vend des macarons, des burgers, du poulet frit… 

Kensington est censé être l’épicentre de la contre-Nuit Blanche. Mais à partir d’une certaine heure, on voit plus de jeunes zombis titubants que d’œuvres d’art. Parce que c’est aussi cela, la Nuit Blanche. Une fête.

Photo : Des graffeurs perchés sur un toit finissent une grande fresque.