MONTRÉAL – Si nous sommes tous conscients de l’importance de bien manger, chez certains cela finit par prendre la forme d’une véritable obsession qui commence à retenir l’attention des experts des troubles alimentaires.

L’orthorexie, comme on l’appelle parfois, « n’est pas un terme diagnostic officiel. On parle plutôt d’un trouble d’évitement et restriction de la gestion d’aliments », a expliqué Howard Steiger, qui est le chef du Continuum des troubles de l’alimentation de l’Institut universitaire Douglas.

Le quotidien britannique The Guardian racontait récemment l’histoire de l’écrivaine Scarlett Thomas, qui confie alterner d’un régime à l’autre depuis 20 ans, constamment à la recherche de LA bonne alimentation – un objectif qu’elle continue à pourchasser, même si elle sait très bien qu’elle ne l’atteindra jamais.

L’alimentation de Mme Thomas est régie par une centaine de règles, et l’auteure empile chez elle des dizaines de livres consacrés à différents régimes alimentaires : quand elle se sent particulièrement stressée, elle relit ses « préférés », une habitude qu’elle compare elle-même à la consommation de pornographie.

« Les troubles de l’alimentation sont intéressants en ce sens qu’ils représentent les valeurs culturelles positives poussées à un extrême nocif, a dit M. Steiger. Dans l’anorexie nerveuse, on dit qu’on ne doit pas devenir obèse, on doit porter attention à son poids, on doit maintenir un niveau d’activité approprié… Mais la personne applique ces concepts tellement fort qu’elle se rend dénutrie. Dans le même sens, une personne qui a l’orthorexie va appliquer les bons conseils de faire attention, de ne pas manger trop de choses avec des additifs chimiques, ou essayer de manger des choses plus saines, mais c’est poussé tellement à l’extrême qu’on devient incapable de choisir n’importe quel aliment. »

M. Steiger partage le cas d’une patiente qui a commencé à souffrir d’orthorexie après que son médecin de famille lui eut conseillé de faire attention à son cholestérol. La dame a alors entrepris d’éliminer de son alimentation « tous les aliments qui auraient pu avoir la moindre association avec un risque de cholestérol élevé, et tranquillement le champ de nourriture qu’elle se permettait rapetissait, à un point tel qu’elle est rendue presque incapable de manger ».

Points communs
Les troubles alimentaires sont habituellement associés à des éléments comme l’anxiété ou des problèmes affectifs comme la dépression. « Il y a plusieurs commonalités, a dit M. Steiger. L’anorexie et l’orthorexie sont tous les deux des troubles qui reposent sur des tempéraments anxieux, les gens qui préfèrent que les choses soient prévisibles, qui évitent quand ils ont des doutes, des choses comme ça. »

Il y a aussi un trouble obsessif compulsif dans les troubles de l’alimentation, poursuit-il : il y a une obsession envers le risque de prendre du poids trop rapidement ou le risque de manger des choses qui seraient malsaines et de tomber malade. L’angoisse obsessionnelle autour de ces choses pousse les gens à développer des compulsions qui réduisent l’anxiété.

Les chercheurs se demandent jusqu’à quel point les gens qui souffrent d’orthorexie manifestent les mêmes tendances en termes de tempérament, en termes de traits psychologiques, que la personne qui développe une anorexie nerveuse.

« Et même plus important, est-ce que ces troubles sont génétiquement liés? Est-ce qu’il y a une base héréditaire?, a précisé M. Steiger. Parce que c’est clair que les troubles alimentaires plus traditionnels, comme l’anorexie et la boulimie, sont transmis à l’intérieur d’une famille et sont assez héréditaires. »

Ce qui semble clair, pour le moment, est que « ce sont des troubles qui sont un peu formés par les messages qui sortent dans l’espace public », a-t-il ajouté.

« On voit ces troubles beaucoup plus fréquemment qu’on les voyait avant, probablement parce que la préoccupation culturelle avec les aliments sains et purs est relativement récente, et peut-être même de plus en plus promue dans les médias », a dit M. Steiger.

Le traitement de l’orthorexie et d’autres troubles alimentaires commence par une désensibilisation du patient, par une réduction de la réaction phobique et de l’évitement compulsif par le biais d’une exposition graduelle à la nourriture. Dans le cas de l’orthorexie, on réintroduit progressivement différents aliments pour amener le patient à réaliser que cela n’a pas les effets nocifs attendus, ce qui réduit ensuite l’anxiété.

« Certains répondent très rapidement et sont vraiment libérés du problème, a conclu M. Steiger. Mais il y a aussi un sous-groupe, heureusement une minorité, pour qui ça devient un mode de vie et c’est chronique. Ce sont des problèmes traitables, et oui on surmonte ces problèmes. »

SOURCE: Jean-Benoit Legault, La Presse canadienne