C’est dans un bar de Madrid en 2007 qu’est née la bande dessinée Quai d’Orsay. Eh oui, avant de devenir le film à succès que beaucoup connaissent, Quai d’Orsay fut en effet une BD.

Antonin Baudry (alias Abel Lanzac) passa la majeure partie de la soirée à convaincre le dessinateur Christophe Blain d’accepter de reproduire sur sa planche à dessin toutes les intrigues et histoires drôles dont il avait été le témoin au Quai d’Orsay, le siège du ministère des Affaires étrangères français à Paris. Antonin écrivait alors les discours pour le Ministère. Il était donc au fait de tout ce qui s’y passait et s’y disait. Antonin Baudry n’en finissait pas de lui raconter les élucubrations et les tics personnels de ces hauts fonctionnaires de l’État, les interminables négociations diplomatiques et les multiples tractations qui précèdent toujours un accord international. Christophe Blain hésitait pourtant, lui, qui avait plus l’habitude de dessiner des cowboys et des pirates, allait devoir créer des personnages en souliers de cuir et en cravate. Il faut croire que la cerveza et les talents d’imitateur d’Antonin furent bons puisque Christophe finit par accepter. 

De passage à Toronto à l’occasion du Festival de la bande dessinée, les deux auteurs sont venus rencontrer le temps d’une soirée les amateurs de bandes dessinées à l’Alliance française. Ils partagèrent les anecdotes qui ont parsemé à la fois la création de la bande dessinée et l’élaboration du scénario du film de Bertrand Tavernier Quai d’Orsay. 

Pour ce qui est de la bande dessinée, le travail de collaboration s’est étalé sur un an pour chacun des deux tomes. Antonin et Christophe se sont réunis à maintes reprises, rencontres au cours desquelles Antonin jouait carrément les personnages pour le plus grand amusement de Christophe. Les personnages principaux furent largement inspirés d’hommes politiques français bien connus, notamment le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Dominique de Villepin. Les expressions et manies des personnages sont pour la plupart authentiques. Le discours prononcé par le ministre devant l’Assemblée générale des Nations unies ressemble étrangement à celui prononcé par Dominique de Villepin en 2003, allocution durant laquelle il annonça que la France n’interviendrait pas en Iraq. Pour rendre l’histoire digeste, il a aussi fallu faire un tri parmi les multiples anecdotes et en écourter d’autres. Pas aisé de raconter en deux images une négociation diplomatique qui s’est en fait étendue sur des heures. 

Transposer une histoire d’un livre à un film nécessite des ajustements. À titre d’exemple, les auteurs racontèrent comment le fameux VLON! qui précède l’arrivée ou le départ du ministre est devenu une tornade de feuilles de papier dans le film, comédie oblige.   

Antonin fit également part de sa collaboration avec le traducteur de la version anglaise du livre, Weapons of Mass Diplomacy. Là aussi, il fallut apporter quelques modifications afin de rendre compréhensible des éléments de la culture française à un public anglophone. Dans la version américaine, le secrétaire d’État américain se comporte comme un militaire, un peu à l’image de Colin Powell. Le TAC TAC TAC employé par le ministre quand il prend des décisions fut changé en rat-a-tat-tat. 

Quai d’Orsay n’est cependant pas une satire du monde diplomatique, bien au contraire. Aujourd’hui encore, Antonin avoue qu’il adore ses anciens collègues de travail. Selon lui, ils font un métier héroïque et travaillent de longues heures. 

Ces fonctionnaires ne semblent d’ailleurs pas lui en tenir rigueur de les avoir transformés en personnages de bande dessinée. Antonin raconte que beaucoup d’entre eux sont en fait ravis et vont même jusqu’à dédicacer des copies du livre!

Photo : Antonin Baudry (Abel Lanzac) et Christophe Blain