« Un cégépien anglophone qui aurait passé quelques années dans une classe d’immersion. » Voilà comment avait été décrit Justin Trudeau il y a plus d’un an par Lysiane Gagnon, la chroniqueuse du journal La Presse. Pourtant, l’homme est francophone, mais, pour la journaliste, son français n’est pas correct. Mais qu’est-ce que le bon français?
Alors que les francophones du Canada, groupe linguistique minoritaire du pays, subit une domination du groupe linguistique majoritaire, les anglophones, il existe également un système de domination à l’intérieur même de la francophonie.
La professeure Annette Boudreau de l’université de Moncton présentait, lors d’une conférence du Centre de recherches en éducation franco-ontarienne , une analyse sur cette idée du français « légitime », « idéal » et les rapports de domination qu’il engendre au sein d’un même groupe linguistique.
Partant de son livre À l’ombre de la langue légitime : L’Acadie dans la francophonie, la conférencière proposait une analyse collective de par son expérience personnelle d’Acadienne dans le monde francophone.
« Le je est un je social, un je politique »
« Le je est un je social, un je politique. J’espère que ceux qui ont vécu un sentiment de domination puissent se reconnaître dans ce que je raconte », dit-elle.
Née à Moncton au Nouveau-Brunswick, Annette Boudreau a évolué dans un milieu bilingue et fait ses études en français. Acadienne, elle raconte un « sentiment de honte » qui faisait partie d’elle.
« Toute une partie de ma vie, j’ai eu l’impression d’avoir une sorte de honte d’être une francophone minoritaire. Je ne pouvais pas mettre de mot dessus, mais cette honte était bien là », reconnaît l’ancienne professeure.
À l’université, elle reçoit une bourse d’étude pour suivre sa maîtrise à Aix-en Provence en France, alors que la jeune étudiante s’imagine retrouver la « patrie d’avant » de sa langue maternelle. Le voyage ne se passe pas comme prévu.
« J’avais l’impression de ne vraiment pas savoir parler, comme un sentiment d’étrangeté. Je ressentais les différences comme la confirmation de mon infériorité », indique Annette Boudreau, avant de lire un extrait de son ouvrage.
« Dès mon arrivée à Paris, je me suis retrouvée dans un autre monde et j’ai tout de suite compris que je ne parlais pas « le même langage » que les Français, mais je ne savais pas objectiver cette découverte, car s’en était une, et lui donner sens. »
« J’avais l’impression de ne vraiment pas savoir parler, comme un sentiment d’étrangeté »
La sociolinguistique désigne ce phénomène une domination consentie, cette dernière n’ayant pas, alors, les outils pour remettre en question cette idée d’illégitimité masquée.
À son retour à l’Université de Moncton, alors devenue professeure, elle commence à s’intéresser au système de la langue et découvre l’ouvrage de Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire qui l’amène à s’attacher non plus à la langue, mais au locuteur même.
La chercheuse met en lumière, par des recherches menées en Acadie, une idéologie de la langue unique très vivace qui s’accompagne par une violence symbolique à partir de la langue.
Parmi les personnes interrogées, le cas d’une ancienne ministre de la Francophonie d’origine acadienne est particulièrement frappant. La ministre raconte comment elle avait « le cœur qui battait » quand Radio-Canada lui téléphonait pour une entrevue ou encore comment elle avait pleuré après qu’un francophone ait ri de son français.
Qu’est-ce qu’un francophone légitime, interroge la chercheuse qui pointe du doigt une idéologie du standard existant à tous les paliers d’une soi-disant hiérarchie de la langue et se rapportant au procès fait au premier ministre comme l’une des preuves d’une insécurité vis-à-vis de la langue de la part de ceux qui sont parfois les dominateurs.
La chercheuse mettait en avant la stratégie de différenciation, plutôt que d’assimilation, pour sortir de l’ombre d’une soi-disant langue légitime. Aujourd’hui quand elle se fait noter son accent en France, elle rétorque : « Ah oui, toi aussi tu as un accent. »