On aurait tendance à penser qu’un cimetière est toujours plongé dans le silence. Vous êtes-vous déjà demandé cependant ce qu’il adviendrait si les morts se mettaient à parler. Il suffisait en fait de se joindre à la dernière sortie guidée de la Société d’histoire de Toronto à la Nécropole pour se faire une petite idée de ce qu’ils pourraient bien nous raconter.
Suivons en l’occurrence Gilles Huot, le guide de la visite, et écoutons ce qu’ils auraient à dire.
Bon nombre de ces morts seraient en mesure de décrire les événements importants dont ils furent les témoins. La chef de mission Carol Ann Letheren raconterait la tête que faisait l’athlète Ben Johnson lorsqu’elle vint lui annoncer qu’il devait remettre sa médaille d’or olympique à Séoul en 1988. William Lyon Mackenzie ne se ferait pas prier pour raconter en long et en large comment l’élite anglicane régnait sans partage sur la colonie du Haut-Canada. Samuel Lount et Peter Matthews expliqueraient qu’on les pendit pour montrer l’exemple et mettre ainsi à bas la Rébellion de 1837.
Parmi ces morts, certains partageraient la peine qu’on éprouve quand le destin frappe. Le jeune William Ward serait encore inconsolable de n’avoir pu sauver ses cinq petites sœurs de la noyade par un dimanche de 1862 alors qu’ils effectuaient la traversée en bateau entre les îles et la ville de Toronto. Le jeune caporal Ainsworth Dyer dirait combien c’est injuste de tomber sous le feu d’un « tir ami » en Afghanistan. Les deux frères Alex et William Turriff décriraient comment 32 autres personnes trouvèrent la mort lorsque deux trains entrèrent en collision près de Toronto en 1884. Les soldats enterrés au bas du cimetière, non loin des berges de la rivière Don, trouveraient qu’ils furent particulièrement malchanceux de périr de la grippe espagnole à peine rentrés à Toronto, eux qui venaient juste d’échapper au carnage de la Première Guerre mondiale.
Certains pourraient se vanter à juste titre de leurs réalisations. Ned Halan dirait que c’est à force de ramer jusqu’aux îles qu’il devint champion du monde d’aviron. Anderson Ruffin Abbott expliquerait que c’est sur les bancs de l’école qu’il se forgea une brillante carrière en médecine, devenant le premier docteur noir au Canada et médecin personnel du président Lincoln. Le sculpteur Kosso Eloul nous remercierait d’avoir installé ses structures de rectangles en équilibre dans plus de 70 villes canadiennes. Le philanthrope John Ross Robertson se réjouirait de voir que l’Hôpital pour enfants est devenu un des meilleurs hôpitaux du monde. Le Dr Joseph Workman serait tout aussi heureux de constater qu’on traite de nos jours les personnes qui souffrent de maladies mentales bien mieux qu’en son temps.
D’autres seraient peut-être surpris de voir leur nom bien connu de tous les Torontois. Le restaurateur Joseph Bloore serait sans doute amusé de voir son nom mal épelé d’un bout à l’autre de la ville. L’anti-esclavagiste George Brown nous féliciterait d’avoir donné son nom à un collège et fait de son journal The Globe un des plus grands quotidiens canadiens.
La plupart feraient part de leur étonnement en voyant combien Toronto a changé. Le premier propriétaire de taxi de la capitale ontarienne, l’esclave affranchi Thornton Blackburn, dirait que les nids-de-poule qu’on rencontre dans les rues de Toronto ces derniers temps pâlissent en comparaison avec la boue qui s’y amoncelait au milieu du XIXe siècle. L’ancien maire William Holmes Howland, ardent défenseur de « Toronto-la-pure » serait certainement outré en voyant comment se comporte le maire actuel.
Pour finir, un d’entre eux ne manquerait sans doute pas de nous faire un clin d’œil, nous les francophones. À l’image de sa pierre tombale qui porte des inscriptions en français, Jack Layton serait sûrement bien disposé à engager la conversation dans notre langue.
Pour le programme complet des visites guidées et des conférences données par la Société d’histoire de Toronto : www.sht.ca.
Photo : Groupe à l’entrée de la Nécropole