Les assidus du patin à glace à Harbourfront feraient bien, une fois leurs glissades terminées, de passer une tête à la galerie Power Plant. Le bâtiment en brique en bordure de la patinoire abrite jusqu’au 5 mai prochain l’exposition Beat Nation: Art, Hip Hop and Aboriginal Culture, examinant les liens et les influences entre les cultures hip hop et aborigènes.

Exposées dans la galerie, les oeuvres d’une vingtaine d’artistes venus de la côte Ouest, d’Alaska, du Nunavut ou du Nouveau-Mexique mixent l’ancien et le nouveau, la culture urbaine et les traditions aborigènes. Au premier tournant, on se retrouve face-à-face avec Tautology, une sculpture de Duane Linklater, représentant un phoenix en néon rouge, symbole aborigène comme détourné en enseigne lumineuse.

La salle résonne d’une musique aux accents hip hop et dubstep et le visiteur aux oreilles échaudées se dirige alors vers l’installation vidéo de Nicholas Galanin, un artiste d’origine tlingit. Intitulée Tsu Heidei Shugaxtutaan, l’oeuvre se compose de deux parties : la première voit le breakdancer David « Elsewhere » Bernal danser sur un rythme traditionnel tlingit quand la deuxième présente le danseur Dan Littlefield en costume tlingit interprété un pow-wow sur une musique électronique envoûtante. Étrangement, la rencontre de la musique urbaine et de la danse tlingit, qui pourrait s’avérer anachronique, se fait ici naturellement : Nicholas Galanin n’utilise pas un style ou détriment de l’autre, mais les mélange gracieusement.

Plus loin, le public peut admirer les costumes de scène de Skeena Reece, pour son spectacle Raven: On The Colonial Fleet. Cette artiste multidisciplinaire basée à Vancouver (elle est musicienne, poète et crée aussi des installations vidéos) a entre autres créé une robe inspirée de l’art aborigène de la côte Nord-Ouest, représentant sa vision de la guerrière féminine contemporaine, plus sexy mais tout aussi coriace. Juste à côté, un masque de Marlon Brandon sculpté par Corey Bulpitt rend hommage au refus de l’acteur de recevoir l’Oscar du meilleur acteur en 1973. Lors de la cérémonie de remises des Oscars, Brando s’était fait représenter par Sacheen Littlefeather qui avait délivré un discours protestant contre la façon dont l’industrie du cinéma traitait les Autochtones américains. Ce masque montre aussi la facette politique des oeuvres exposées, comme avec une énorme fresque murale réalisée par Corey Bulpitt et Gurl 23. Représentant une orque à tête de corbeau, le graffiti est agrémenté d’une citation lourde de sens du rappeur KRS-One : « Il ne peut jamais vraiment y avoir une justice dans un pays volé ».

Dernier clin d’oeil à la culture hip hop vers la fin de l’exposition : quatre vélos low-rider conçus par Dylan Miner, artiste dont les origines aborigènes ont une extension dans la région de Penetanguishene. Cet artiste, activiste et historien de l’art se réapproprie un accessoire de l’imaginaire du hip hop de la côte Ouest, ornant chacun des vélo de blanc, de noir, de rouge et de jaune (les quatre couleurs sacrées de la Terre dans la tradition aborigène).

La galerie Power Plant présente avec Beat Nation une passerelle intéressante entre les traditions aborigènes et les codes des cultures urbaines. Les jeunes artistes présents font preuve d’un engagement à la hauteur de leurs talents.

Photo : Dylan Miner, Anishinaabensag Biimskowebshkigewag (Native Kids Ride Bikes), ongoing. Quatre vélos, techniques mixtes. Courtoisie de l’artiste et The Power Plant