TORONTO – Texte d’opinion par Owen Charters
Brutal. En public. En plein jour. Ces mots sont de plus en plus utilisés dans l’actualité pour décrire la violence armée qui fait rage ces jours-ci.
Des fusillades ont lieu dans les rues de la ville reine, au beau milieu de terrains de jeu, et les enfants sont terrifiés. Tout cela glace le sang : à Toronto, la violence par armes à feu est en hausse depuis quatre ans. Par le passé, notamment à l’été 2005, la métropole avait enregistré 33 fusillades. En 2012, les autorités parlaient d’un «pic » de violence, en tentant d’analyser la fusillade de Danzig Street. Mais ce n’était qu’un début. Le nombre de victimes de fusillade est passé de 242 en 2014 à 594 en 2017. Déjà cette année, on enregistre une hausse de 18 pour cent par rapport à l’an dernier, et, selon les experts, le nombre de victimes pourrait friser la barre des 600.
Cette tendance ne se limite pas à Toronto.
Les incidents criminels impliquant des armes à feu ont bondi de 30 pour cent à l’échelle nationale entre 2013 et 2016, tandis que les homicides par armes à feu ont augmenté de 60 pour cent. Des municipalités telles que Montréal, Surrey, Edmonton, Calgary, Regina, Ottawa et Halifax connaissent aussi une flambée de violence.
Fait inquiétant, l’augmentation de ce type de violence concorde avec une hausse des activités du crime organisé à l’échelle du pays.
Le rapport du Sommet sur la violence liée aux armes à feu et aux gangs par le gouvernement fédéral fait état de données plutôt sombres : depuis 2013, les meurtres liés au crime organisé ont doublé dans plusieurs grandes agglomérations canadiennes.
Les facteurs qui mènent à ce type de violence et au crime organisé sont aussi variés que complexes : conditions socio-économiques difficiles, besoins de base non comblés, éducation limitée, laxisme de la législation entourant le contrôle des armes à feu, etc.
Les autorités tentent d’améliorer la situation. Le gouvernement canadien vient de lancer un appel de demandes pour le Fonds de lutte contre les activités des gangs de jeunes, qui a pour objectif de réduire la violence juvénile. Il s’agit d’un prolongement de la promesse de 2017 de fournir un financement de 327,6 millions de dollars sur cinq ans pour faire la prévention des gangs.
Après le Summer of the Gun de 2005, la Stratégie d’intervention contre la violence de Toronto a été mise sur pied… pour finalement cesser ses activités en 2017, après que les communautés se soient plaintes pendant des années du profilage racial et de la méfiance des policiers.
Avec la croissance de la violence armée et du crime organisé ressurgissent d’éternels débats : l’embauche d’un plus grand nombre de policiers, les écarts économiques, les lois entourant le contrôle des armes à feu…
Il est grand temps de repenser ces enjeux de société en donnant une voix à la jeunesse.
Selon plusieurs experts, l’implication des jeunes dans les interventions communautaires aurait contribué à diminuer la violence armée après le Summer of the Gun de 2005. Car oui, la génération Z (les enfants nés entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000) est de plus en plus engagée dans sa communauté. Quatre-vingt-deux pour cent des répondants à un récent sondage de Global News ont affirmé se tenir informés de l’actualité, et plus de la moitié d’entre eux ont indiqué connaître les mouvements politiques et sociaux actuels.
Même son de cloche aux États-Unis. 2018 est déjà surnommée «l’Année des jeunes» puisque des adolescents activistes se rassemblent à Washington pour exiger des changements à divers niveaux, que ce soit sur le plan des fusillades en milieu scolaire ou sur celui de la séparation des familles de migrants à la frontière.
Les étudiants de la Majority Stoneman Douglas High School à Parkland, en Floride, forment présentement le mouvement populaire le plus visible et le plus inspirant en faveur d’une réforme des armes à feu – et plusieurs d’entre eux ne sont même pas en âge de voter! Le mouvement #NeverAgain (#PlusJamais) est rapidement devenu un appel à l’action d’envergure internationale mené par des jeunes. Lorsque ses leaders ont organisé March For Our Lives, des Canadiens ont fait preuve de solidarité en participant à des événements dans près de 20 grandes villes d’un bout à l’autre du pays.
Il est temps pour les adultes en position d’autorité d’arrêter de claironner toutes les réponses et de commencer à écouter la jeunesse. Nous ne pouvons pas nier que les membres de gangs de rue et les victimes de crimes armés sont de plus en plus jeunes. Mais il est important de souligner que les dirigeants de nos communautés le sont aussi.
Créons un espace où les jeunes pourront se faire entendre, exprimer leurs idées et prendre en main des projets afin qu’ils accomplissent ce que nous n’avons pas pu réaliser. Ce geste pourrait faire toute la différence.
Owen Charters est président de Repaires jeunesse du Canada.