Le Métropolitain

Portrait de famille au vitriol

Le vendredi 31 janvier, l’Alliance française de Toronto a proposé aux curieux de (re)découvrir un des textes importants de la littérature québécoise, Les Muses orphelines de Michel Marc Bouchard. À travers une mise en lecture des comédiens du Théâtre La Tangente, le texte revit et frappe par la précision des dialogues, les répliques caustiques fusant en rafale dans cette analyse acerbe des rapports familiaux. Si l’action de la pièce se déroule en 1965, à Pâques dans le petit village de Saint-Ludger de Milot, au Lac-Saint-Jean, elle reste d’une actualité extraordinaire. C’est ce qui a plu au Théâtre La Tangente, comme l’explique Louise Naubert, directrice artistique de La Tangente et responsable de la lecture des didascalies pour la soirée. 

« L’histoire a une résonance universelle, explique-t-elle. C’est pourquoi nous n’avons pas expressément pris l’accent de Lac-Saint-Jean, nous nous sommes concentrés sur l’histoire et le texte. Ce que Michel Marc Bouchard montre dans sa pièce pourrait se passer n’importe où dans le monde, ou presque. »

L’histoire débute par la réunion des trois soeurs et du frère de la famille Tanguay, revenus dans leur village natal pour fêter l’improbable retour de leur mère, qui les a abandonnés 20 ans plus tôt pour s’enfuir avec un bel Espagnol. Ou du moins c’est ce que chacun des enfants prétend croire. Au fil des pages, le trauma qu’a constitué le départ de leur mère se fait plus évident. Replonger dans un passé que l’on a tenté d’oublier peut s’avérer dangereux pour le fragile équilibre qui maintient chacun des membres de la famille un tant soit peu sain d’esprit. Les dialogues trempés dans l’acide font grincer des dents, le spectateur balançant entre rire et affolement, une pointe de tendresse cachée apparaissant en-dessous d’une couche de cruauté omniprésente. 

On croise donc Catherine (Mélanie Beauchamp), l’aînée de la famille, bourrue mais protectrice; Isabelle Tanguay (Geneviève Dufour), la benjamine, midinette consciente de son manque d’éducation; Luc Tanguay (Pierre Simpson), le frère, écrivain raté et sorte de faux rebelle excentrique; et Martine Tanguay (Anne-Sophie Quemener), soeur cadette devenue militaire en Allemagne. Tout ce petit monde va peu à peu régler ses comptes, entre eux et avec les gens du village qui les ont durement traités dans leur jeunesse. 

Au petit jeu des apparences et des contre-vérités, qui est pris qui croyait prendre. Le texte de Michel Marc Bouchard est servi à merveille par quatre comédiens inspirés : au fil des pages, ils incarnent complètement cette famille de névrosés, tous chamboulés par l’abandon maternel mais liés par un amour fraternel à toute épreuve. Jusqu’à ce constat d’Isabelle, la plus jeune : « Ce qui a de beau dans une famille, c’est de savoir la quitter ».

Cette mise en lecture était également la dernière représentation théâtrale que l’Alliance française organisait dans la Galerie Pierre-Léon, les prochains spectacles, si le délai des travaux est respecté, devant se dérouler dans le nouvel auditorium. Si le confort vient s’ajouter à la qualité de la programmation, nul doute que la centaine de sièges devraient être régulièrement pris d’assaut.

Photo : De gauche à droite : Louise Naubert, Mélanie Beauchamp, Geneviève Dufour, Pierre Simpson et Anne-Sophie Quemener

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