Le Métropolitain

Les migrations francophones en Amérique fascinent et intriguent

Synthétiser presque 500 ans de migrations francophones en Amérique en l’espace d’une heure, c’est la tâche à laquelle s’est attelé Yves Frenette le mercredi 13 octobre à l’invitation de l’Alliance française de Toronto et de la Société d’histoire de Toronto. Professeur à l’Université de Saint-Boniface et titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 1 sur les migrations, les transferts et les communautés francophones, M. Frenette a livré à l’audience de cette conférence les résultats de 40 ans d’études sur le sujet.

Sa présentation portait pour l’essentiel sur les trois siècles qui se sont écoulés de 1640 à 1940, mais un bref saut au sein des prémices de l’Amérique française a été fait du côté des États-Unis. C’est en effet dès 1562 que des huguenots, c’est-à-dire des Français protestants, quittèrent leur pays en proie aux conflits religieux pour se réfugier de l’autre côté de l’Atlantique et y fonder des établissements.

L’aventure n’alla pas très loin. « Les huguenots ont fait long feu. Comme ils n’étaient pas nombreux, il leur était difficile de se marier et, comme ils étaient protestants, ils pouvaient se marier avec les femmes yankees », a expliqué M. Frenette. C’est donc dire que si quelques noms de famille ont survécu, la langue et la culture, elles, ont été noyées dans l’ensemble anglo-saxon.

Plus complexe et plus tragique, le cas des Acadiens est un exemple extrême de migration. Entre 1630 et 1650, une trentaine de familles françaises s’établissent dans ce qui est aujourd’hui la Nouvelle-Écosse. Leurs descendants forment l’essentiel de la population acadienne, d’où le petit nombre de patronymes. Toujours est-il que leur sort fut scellé lorsque plus de 10 000 d’entre eux ont été déportés suite aux nombreux conflits entre la France et l’Angleterre.

« Pour les Acadiens, c’est une ère d’errance qui commence », a commenté l’historien. Avant même que les Anglais décident de leur porter ce coup fatal, la France en avait invité plusieurs à venir s’établir au Cap-Breton et à l’Île-Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard), initiant ainsi d’autres communautés francophones. Les Acadiens qui n’eurent pas cette chance se retrouvèrent contre leur gré sur la côte est des États-Unis, en Louisiane, dans les Antilles, en Angleterre, etc., et passèrent des années sur le chemin de l’exil et, dans certains cas, à tenter de retourner sur leur terre natale.

Certains s’enfuirent du côté de la vallée du Saint-Laurent.

Justement, bien des choses peuvent être également dites de cette Nouvelle-France. La plupart des hommes qui viennent s’y établir sont accompagnés d’un frère, d’un cousin, d’un oncle, bref, de quelqu’un sur qui ils peuvent s’appuyer et avoir confiance en cas de besoin.

C’est donc une économie fondée sur la solidarité familiale qui prédomine, et c’est auprès de parents lointains ou de la belle-famille que l’on fait escale lorsque l’on emménage dans une nouvelle région.

« La famille et la parenté constituent le moteur par lequel s’effectuent les migrations », résume Yves Frenette.

Quelques mots à propos de ce qui se passe à l’autre extrémité de la Nouvelle-France, en Louisiane. Là, c’est une société où Français, Autochtones et Noirs esclaves ou affranchis se côtoient, faisant du delta du Mississippi un lieu de rencontres et de passages.

Dans le bassin des Grands Lacs, de nombreux établissements franco-autochtones voient le jour, où une poignée de Français (missionnaires, soldats, coureurs des bois) côtoient de nombreux Autochtones plus ou moins sédentarisés et acquis à la culture française, mais aucun peuple né de ce métissage et conscient de son identité ne s’y perpétuera dans le temps.

C’est donc de la vallée du Saint-Laurent que sortiront bon nombre de communautés francophones de l’Amérique du Nord. Le phénomène débutera dès la fin du XVIIIe siècle et s’accélérera à partir de 1850 à la faveur du développement des moyens de transport et de communication, de la croissance de la population et du manque de terres agricoles au Québec.

La Nouvelle-Angleterre, l’Ontario, le Michigan, etc., voient les Canadiens français affluer : « Que vous soyez à Chicago, au Klondike ou en Colombie-Britannique, vous allez trouver des francophones », fait remarquer l’historien.

Une habitude intergénérationnelle se développe : on migre à l’image de ses parents ou grands-parents. « Les migrations deviennent une stratégie pour survivre et améliorer sa condition », comment M. Frenette. Cette omniprésence des Canadiens français aux quatre coins du continent constitue une véritable diaspora qui se voit comme telle et au sein de laquelle les élites gardent contact.

Dans les Prairies canadiennes aussi, un grand brassage de population s’effectue. Métis et Canadiens français sont de la partie et, étonnamment, de nombreux Français et Wallons également. Plusieurs villages francophones sont alors fondés.

De 1920 à 1940, on assiste à un ralentissement de la cadence. Le Québec cesse peu à peu de perdre sa population. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Ontario continuera d’attirer les francophones de partout avec ses salaires élevés, mais l’époque des migrations de masse est désormais terminée.

Plus de 100 personnes ont assisté en ligne à cette conférence très intéressante qui a rappelé à plusieurs combien le fait français a laissé sa marque sur l’Amérique entière.

PHOTO (crédit: tolkien2008.wordpress.com) – Des Canadiens français travailleurs d’usine à Lowell, au Massachussetts

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