Présenter la pièce Matroni et moi de l’auteur et comédien québécois Alexis Martin : voilà le beau défi que le metteur en scène Pierre Gregory proposa à la troupe théâtrale communautaire Les Indisciplinés de Toronto pour leur représentation automnale les 22, 23 et 24 novembre derniers.
« J’ai vu la pièce et le film à Montréal il y a quelques années et je me suis dit alors qu’un jour je voudrai aussi la monter », confie le président des Indisciplinés de Toronto. Il avoue être attiré par l’humour qui ressort du texte et le contraste entre le personnage académique et idéaliste qu’est Gilles, joué par Jules Daviau, et le mafioso de second ordre qu’est Matroni, interprété par Daniel Bourque.
Guylaine, portée à la scène par Kim Desrochers, s’éprend de Gilles, aspire à sortir de l’ignorance et veut troquer son emploi de serveuse de bar pour retourner aux études. Son frère Bob, joué par Jérôme Laflamme, préfère quant à lui rester dans son milieu « pourri » et continuer de mener des affaires louches avec Matroni.
Gilles finit par être mêlé à une sombre histoire de règlement de comptes. Intervient alors le père de Gilles, Me Robert Larochelle, interprété par Serge Paul, qui va alors apporter un dénouement surprenant et tragique. Tout au long de la pièce, ces deux mondes diamétralement opposés s’affrontent mais aussi finissent par s’écouter. Le cynisme et l’injure alternent avec la tendresse et le rire.
« En français, bonhomme », interjette Matroni en demandant à Gilles de lui parler dans une langue qu’il peut comprendre. Gilles entreprend en effet de longues tirades philosophiques sur la mort de Dieu que lui seul semble comprendre. Matroni et Bob s’expriment en joual et ne lésinent pas sur le blasphème. Le défi de la pièce réside justement dans la complexité et la richesse du texte écrit par Alexis Martin.
« Mes amis m’ont encouragé à me présenter pour le rôle de Bob. Je suis capable de jouer ce genre de texte même si je ne suis pas issu du même milieu que Bob », avoue Jérôme Laflamme.
Même si le personnage de Gilles parle un français plus « standard », Jules Daviau a dû sortir de son registre habituel. « Étant d’origine française, j’ai dû beaucoup travailler pour livrer ce texte. Il y a de longs passages où le personnage de Gilles semble parler seul tout en dialoguant avec les autres », confie l’acteur.
Daniel Bourque se campe parfaitement dans le rôle du criminel endurci, pragmatique, paternaliste et parfois même philosophe à sa façon. Kim Desrochers est convaincante, montrant Guylaine à la fois « s’engueuler » avec son frère Bob, puis dans le même souffle essayer d’avoir une conversation intellectuelle avec Gilles au sujet de « la » mémoire que celui-ci vient de présenter à l’université à Boston.
Serge Paul sait faire ressortir le côté avocat véreux, cynique mais aussi père tendre et tragique. Pierre McLaughlin, habillé en monsieur guindé, installé dans son fauteuil de salon et livre à la main, amorce la pièce dans un rôle de narrateur.
« J’avais déjà travaillé avec deux des acteurs. Les autres sont venus à nous. Nous nous sommes posé alors la question : mais où étiez-vous donc auparavant? », fait remarquer Pierre Gregory.
Assisté pour cette pièce de son adjointe, Audrey-Maude Southière, Pierre Gregory fait preuve de créativité en présentant la pièce sur deux scènes. Une scène se déroule dans un espace aménagé sur le côté gauche de la salle Beverley Halls.
Prévenus à l’avance, les spectateurs n’ont juste qu’à faire un quart de tour sur leur siège. C’est d’ailleurs là, dans sa chambre d’hôtel et vêtu de sa robe de chambre, que Matroni rencontre Gilles pour la première fois. L’effet théâtral est réussi.
« J’avais choisi de rien lire à propos de la pièce à l’avance. Je ne m’attendais pas vraiment à ça », se réjouit Aurélie Legros à l’issue de la représentation. À en juger par les éclats de rire du nombreux public ce soir-là, pas familiers pour certains avec ce registre de langue, il est juste de dire que la troupe d’acteurs bénévoles fut en mesure de relever le défi proposé par leur metteur en scène.
Le public attend sûrement avec impatience le prochain spectacle des Indisciplinés de Toronto prévu pour mai 2013.
Photo : Kim Desrochers (Guylaine), Serge Paul (Larochelle) et Jules Daviau (Gilles).