Lauréate de plusieurs prix pour son premier roman Les Carnets de Douglas, l’écrivaine Christine Eddie était l’invitée, le mercredi 23 octobre, de la Bibliothèque centrale de North York. Accompagnée de la traductrice Sheila Fischman, l’auteure francophone (elle est née en France, a grandi en Acadie et vit depuis 30 ans à Québec) est venue parler de ce premier roman magnifique ainsi que du difficile mais brillant travail de traduction effectué par son amie Sheila Fischman.
Sans tremper dans l’eau de rose, ce roman est avant tout un livre sur la mémoire, pour son auteure. « Au gré des rencontres et des discussions, certains lecteurs m’ont dit qu’ils trouvaient que Les Carnets de Douglas étaient une fable, un roman d’amour, un pamphlet écologique ou encore du matériel cinématographique, explique-t-elle. Mais pour moi, c’est avant tout un ouvrage à la mémoire de la personne qui m’a poussée à me lancer sérieusement dans l’écriture d’un roman, mon amie la peintre Létourneau. J’avais écrit des tonnes de premiers chapitres, de la poésie assez sombre dans ma jeunesse et pas mal de nouvelles mais c’est elle qui m’a mise au défi d’écrire un roman. » Bien lui en a pris puisque Les Carnets de Douglas ont connu un succès inattendu : Prix France-Québec, Prix Senghor du premier roman francophone, Prix du club des irrésistibles et finaliste au Prix des libraires du Québec.
Sheila Fischman a acheté le livre par hasard et en est tombée directement amoureuse. Dès la très belle première phrase (« Il m’a fallu beaucoup trop de temps pour réaliser que, loin de toi, la lumière est toujours tamisée »), la traductrice a été subjuguée. Restait à faire honneur à l’oeuvre. « Chaque traduction est un défi, déclare-t-elle. Mais l’émotion ressentie à la lecture est primordiale. Ce qui est difficile pour moi, plus encore que de trouver les bons mots, c’est d’arriver à traduire cette émotion. Je n’ai pas traduit ce livre mot pour mot, littéralement. J’ai essayé de lui insuffler un souffle nouveau. »
Pour Christine Eddie, quand Sheila Fischman lit un passage de la traduction anglaise, elle a l’impression d’entendre un livre étranger, ce qui lui procure un plaisir nouveau. « Pour moi, un livre traduit est un livre qui a des ailes », explique-t-elle. Il est d’ailleurs amusant de constater que la version anglaise contient 1000 mots de moins que la version originale. « D’habitude, explique Sheila Fischman, un texte anglais contient 10 % moins de mots que son équivalent français. En anglais, il y a des raccourcis et des secrets, beaucoup de secrets. »
L’auteure aime utiliser des doubles sens, tels « brasser de la bière et des affaires », ce qui peut représenter une difficulté supplémentaire pour la traduction. Pour cet exemple précis, Sheila Fischman a choisi « brewing beer and cooking deals », qui garde à la fois une certaine cohérence (l’univers culinaire) et une certaine « musique », comme l’aime à l’appeler Sheila Fischman. Mais parfois, trouver cette petite musique est un effort de longue haleine. Ainsi pour trouver une traduction aux « érables du fleuve Amour », les deux femmes ont planché près de trois heures durant.
Au final, cette rencontre entre écriture fine et traduction basée sur l’émotion ne pouvait accoucher que d’une petite merveille.
Photo : Christine Eddie (à gauche) et Sheila Fischman