Le mardi 22 janvier, le Club canadien de Toronto faisait salle comble avec son dîner-conférence mensuel. Dans son mot de bienvenue, le vice-président de l’organisme, Benoit Fabreguettes, a profité de cette grande affluence pour rappeler que la période de mise en candidature pour le prix RelèveTO se poursuivait et pour souligner que de nombreux jeunes professionnels et entrepreneurs se trouvaient d’ailleurs dans l’assistance.
Parmi ces jeunes, il s’en trouvait une qui fait la manchette depuis novembre dernier et à l’endroit de qui les Franco-Ontariens ont bien des attentes : Amanda Simard, députée provinciale de Glengarry-Prescott-Russell. La femme politique de 29 ans était l’invitée du Club canadien et la première question que lui a posée l’animatrice Marjorie April portait justement sur sa réaction quant à sa notoriété soudaine et la tourmente médiatique qui l’a accompagnée. Mme Simard a dit qu’elle ne s’attendait pas à pareille chose et qu’elle se réjouissait que son exemple puisse contribuer chez les francophones de partout au Canada, et chez les jeunes en particulier, au réveil d’un sentiment de fierté.
Aujourd’hui députée indépendante, Amanda Simard avait été élue sous la bannière progressiste-conservatrice en juin dernier. Or, comme elle l’a rappelé, c’est au temps où Patrick Brown était chef de la formation qu’elle avait pris l’engagement de se présenter, une nuance importante selon elle. L’ancien leader semblait davantage sensibilisé aux réalités francophones tout comme plusieurs personnes de son entourage.
Cependant, sous Doug Ford, cette attention à la communauté franco-ontarienne s’est rapidement évanouie. Quel a été le point de rupture? « Le fait que je n’avais aucune information sur les annonces alors que j’étais l’adjointe parlementaire de la ministre aux Affaires francophones », estime la députée. Constamment prise au dépourvu quant aux politiques de son gouvernement en matière linguistique, incapable d’obtenir des réponses à ses questions dans les moments critiques et, plus grave encore, induite sciemment en erreur dans l’organisation des travaux de l’Assemblée législative, Amanda Simard a dû se rendre à l’évidence qu’elle ne pouvait, en pareilles circonstances, faire son travail correctement et que quitter les rangs conservateurs s’imposait.
Marjorie April s’est enquis d’une éventuelle adhésion au parti libéral. « Je n’ai pas fermé la porte, explique la députée. J’ai hâte de voir la course à la chefferie pour savoir s’il y a quelqu’un avec qui je peux m’aligner. » Quant à son ancien chef, Mme Simard semble visiblement avoir fait son deuil d’un possible retour à une meilleure entente avec les Franco-Ontariens : questionnée à savoir s’il est francophobe, elle a simplement dit l’ignorer.
La députée de l’est ontarien s’est néanmoins montrée plus indulgente à l’endroit de Caroline Mulroney, ministre aux Affaires francophones. Ceux qui ont le français à cœur peuvent-ils lui faire confiance? « Ça reste à voir. Ça n’a pas été très positif pour elle au cours des derniers mois. C’est difficile. »
Indépendante, Amanda Simard continuera son travail en demeurant objective et franche et en conservant une lentille francophone dans l’examen des projets de loi. Elle considère que les politiques du gouvernement Ford, lorsqu’il s’agit des Franco-Ontariens, se caractérisent par l’improvisation et l’incompréhension des réalités propres à cette communauté, mais ne tourne pas complètement le dos à ses anciens collègues. Se décrivant comme « fiscalement conservatrice », elle demeure en phase avec l’orientation générale du parti progressiste-conservateur qui est de mettre de l’ordre dans les finances publiques et elle continuera d’appuyer le gouvernement lorsqu’elle le jugera nécessaire.
L’entrevue de Marjorie April portait pour beaucoup sur le parcours récent de Mme Simard et ses démêlés avec Doug Ford. Le Métropolitain a voulu aller plus loin avec quelques questions de son cru.
En entrevue avec le journal, Amanda Simard a abordé ce qui attend désormais les francophones de l’Ontario après la mobilisation des dernières semaines : « Je pense qu’on est déjà en mode réflexion. C’est certain qu’il y a eu une réaction mais nous n’avons pas changé : on a gardé notre sang-froid et on a continué d’aller à la table de discussion. » Qu’il y ait maintenant moins d’électricité dans l’air ne veut pas dire que les francophones ont baissé les bras.
Les politiques de Doug Ford et celles, avant lui, de Mike Harris ne démontrent-elles pas la vulnérabilité des Franco-Ontariens face au gouvernement, pour plusieurs un employeur ou un bailleur de fonds? « Je pense qu’on le ressent plus en tant que minorité, avance la députée, mais on ne dépend pas plus que les autres du gouvernement. » Cependant, en dépit de leur bonne volonté, il est difficile pour les organismes de s’appuyer davantage sur le soutien que leur donne leur milieu : « Il y a déjà de grands efforts au communautaire mais ça prend l’appui du gouvernement ». Un autre facteur à considérer, estime Mme Simard, est que le français est une langue officielle et a droit en cela à une attention particulière du gouvernement.
À la place de M. Ford, qu’aurait fait Mme Simard pour concilier son désir de protéger les institutions francophones et ses vues plus conservatrices en matière de finance publique? « Il y aurait dû y avoir une approche plus systématique », estime-t-elle, plutôt que de procéder à des coupes à la pièce. « D’habitude, quand un gouvernement entre en fonction, chaque département doit trouver tant de pourcentage d’économie à réaliser », explique la députée qui ajoute que le gouvernement, en voulant baisser les taxes, s’est privé de certaines sources de revenus qui l’aurait aidé à balancer le budget.
Amanda Simard ne fait pas de concession quant à ses principes et ses idées. C’est peut-être ce qui lui vaudra de faire une croix définitive sur ses attaches avec le parti progressiste-conservateur. Qu’à cela ne tienne : « J’aime mieux être seule qu’en mauvaise compagnie » blague la députée qui, décidemment, n’a pas la langue dans sa poche.
PHOTO: Benoit Fabreguettes, vice-président du Club canadien, la députée Amanda Simard et Richard Kempler, directeur général de l’organisme