Le Métropolitain

La Franco-Fête devra se réinventer pour ne pas disparaître

Richard Caumartin

La Franco-Fête était de retour la fin de semaine dernière sur un nouveau site au cœur de Toronto. La programmation 2024 de l’événement emblématique de la francophonie torontoise était plutôt modeste et présentée dans un bar très sombre du Stackt Market.

Sombre comme la situation financière de l’organisme et son avenir. Mentionnons qu’il y a quelques semaines, le conseil d’administration de Franco-Fête avait fait parvenir un communiqué aux médias, signé par son président Abel Maxwell, dans lequel l’organisme demandait à la communauté franco-torontoise de se mobiliser et d’appuyer massivement l’édition 2024 dont le thème était « cri du cœur ».

Intitulé « La mobilisation ou la disparition », le message du président indiquait que « l’existence du plus grand et plus ancien festival de la francophonie internationale de la métropole est menacé. Sans un appui massif de la population et des bailleurs de fonds, l’édition 2024 de la Franco-Fête pourrait bien être la dernière ».

Pourquoi ce mouvement de panique soudain ? Les contributions des bailleurs de fonds sont passées de 154 466 $ en 2018 à seulement 78 000 $ cette année, soit une diminution de 49 %, ce qui est énorme pour n’importe lequel organisme. De plus, la Franco-Fête avait déclaré un manque à gagner de 32 918 $ après l’édition de 2023 et selon le directeur général de la Franco-Fête, José Bertrand, l’organisme présentait la programmation 2024 avec un déficit minimum assuré de 25 000 $.

« Bien que le festival fasse partie du paysage culturel torontois depuis plus de 40 ans, les bailleurs de fonds publics et privés font la sourde oreille à la crise de financement que traverse l’événement et qui menace son existence. Depuis la COVID, le budget de la Franco-Fête a fondu de 73 % (par rapport à 2019) et ne survit aujourd’hui que grâce à l’abnégation et la résilience d’une poignée d’organisateurs et bénévoles. La situation est intenable! », affirme Abel Maxwell.

Que s’est-il passé? Plusieurs membres influents de la communauté qui ont vécu les bons et mauvais moments ont expliqué au Métropolitain qu’il y a des facteurs autres que la baisse d’appui des bailleurs de fonds qui expliqueraient cette chute de popularité.

Un des anciens directeurs bénévoles de la Franco-Fête, Gérard Parent, expliquait au journal qu’à l’époque des bonnes années, c’était les membres du conseil d’administration de la Franco-Fête qui remplissaient les demandes de subvention, s’occupaient du marketing et des communications et de la coordination de l’événement qui était présenté une seule journée autour du 24 juin.

La Franco-Fête était le party de la Saint-Jean-Baptiste des Torontois et des francophones de la région qui se déplaçaient chaque année pour le grand spectacle.

« Nous avons connu beaucoup de succès en présentant la Franco-Fête au Collège Glendon ou au Mel Lastman Square, raconte M. Parent. C’était beaucoup moins cher et ça nous permettait de faire venir des artistes francophones renommés et de bien les rémunérer. Nous avons eu des foules de plus de 2000 personnes pendant plusieurs années. Aujourd’hui, la Franco-Fête a perdu son identité. »

La Franco-Fête a attiré des milliers de francophones et francophiles jusqu’en 2018, la dernière année où l’événement a été présenté en juin au Centre Harbourfront. En 2019, les organisateurs ont proposé une nouvelle formule de la fête torontoise en juillet sur le site du Yonge-Dundas Square (qui coûte 25 000 $ par jour en location). À ces frais s’ajoutent les 75 000 $ payés au Groupe Simoncic pour la gestion et la coordination de la Franco-Fête sur deux jours de festivités, 125 000 $ étaient dépensés avant même de payer les artistes et les autres coûts liés à la présentation des spectacles. Puis il y a eu la pandémie et maintenant, la Franco-Fête est devenue une activité multiculturelle comme bien d’autres dans la Ville reine et qui se cherchent un domicile et une identité.

La programmation de l’édition 2024 proposait d’entrée de jeu le collectif Moonshine avec la DJ San Farafina pour une soirée afroélectronique, suivi du maître de l’afropop au Québec, Pierre Kwenders, et l’ambassadeur de la musique haïtienne Paul Beaubrun. Deux autres DJ se sont joints à la fête, soit Gafacci et Hangaëlle, originaire du Mozambique.

Le dimanche a attiré un peu plus de francophones avec des artistes plus connus du public. Il s’agit du spectacle Des lacs à l’océan mettant en vedette les chanteuses Céleste Lévis, Véronique Bilodeau et Émilie Landry. La fête s’est terminée avec le groupe franco-ontarien Les Rats d’Swompe et sa musique trad-rock.

Le Métropolitain a demandé a recueilli quelques commentaires de francophones au Stackt Market.

« Il est important de célébrer notre héritage et d’exprimer notre sentiment d’appartenance à la francophonie. La Franco-Fête représente notre culture et la musique en est la base. Les gens, nos relations et danser tous ensemble représentent pour moi un sentiment communautaire et familial, affirme Geneviève Girard, animatrice culturelle au Conseil scolaire Viamonde.

« Je pense que l’une des raisons des problèmes financiers et de la baisse d’intérêt pour la Franco-Fête se situe au niveau du marketing. Il faudrait l’apporter plus dans les écoles pour attirer les jeunes familles et la relève francophone. Si la date revenait à la troisième fin de semaine de juin, et que l’organisme intégrait la communauté scolaire, les parents et les aînés viendraient voir leurs petits-enfants participer à la programmation avec plus d’artistes locaux. Je crois que la participation de la communauté augmenterait sensiblement, de même que les commandites et autres revenus », croit-elle.

Un autre participant, qui souhaite garder l’anonymat, basculait dans le même sens. « Pourquoi une Franco-Fête à la fin du mois d’août? dit-il. Les familles francophones sont encore en vacances et difficiles à rejoindre, ainsi que la majorité des intervenants des organismes francophones de la région qui seraient d’importants partenaires pour l’événement. La Franco-Fête devrait revenir à la source et songer à redevenir la fête des Franco-Torontois autour de la Saint-Jean-Baptiste. Pour vous donner un bon exemple, voyez-vous beaucoup d’aînés ou d’enfants durant le week-end de la franco-Fête depuis quelques années? La réponse est non. »  

Chose certaine, les dirigeants de la Franco-Fête ont du pain sur la planche pour retrouver sa popularité d’antan et se réinventer. Ils ont mis en place une campagne de sociofinancement pour ramasser des dons afin de garantir un avenir à l’organisme. L’objectif est d’amasser 10 000 $. Pour y participer, visitez le site franco-fete.ca.

Photo: Pierre Kwenders a performé en deuxième partie de la soirée du samedi soir à la Franco-Fête de Toronto.

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