Le mercredi 28 octobre, l’Alliance française de Toronto a accueilli un invité très spécial : Jean-François Sirinelli, grand historien et spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la France du XXe siècle. Ce professeur d’Histoire contemporaine à Science Po Paris et auteur de Mai 68 : l’événement Janus a donné une passionnante conférence, en plus de répondre aux questions de l’audience pendant près de trois quarts d’heure et de rester ensuite pour dédicacer ses ouvrages.
La conférence, qui s’intitulait Mai 68, d’hier à aujourd’hui : rebonds et jeux d’échos, retraçait les différentes commémorations de Mai 68, soit celles de 1978, 1988, 1998 et 2007. Il s’est affairé à démontrer comment un tel évènement a suscité une mémoire vivante, qui s’alimente et connaît des résurgences.
Celle de 1978 en fut une où l’écho des évènements de Mai 68 fut assez assourdi, notamment parce que les baby-boomers, qui sont à l’origine du mouvement, étaient encore trop jeunes pour vraiment faire partie de la sphère politique et culturelle. Peu de livres ont été publiés sur le sujet et, enfin, la configuration idéologique de la fin des années 1970 n’était pas propice à sa célébration. « Les grandes idéologies [d’extrême gauche] sont remises en cause dans leur propre camp », souligne M. Sirinelli.
Celle de 1988, au contraire, a connu un écho réel : non seulement beaucoup d’ouvrages sont parus, mais ceux-ci reçoivent une très bonne réception. Ils véhiculent avant tout l’idée que la France de ces jours, qui se porte très bien, est le fruit de Mai 68. Qui plus est, les soixante-huitards, désormais dans leur quarantaine, tiennent les rênes du pouvoir politique et culturel.
L’écho de 1998 est, quant à lui, plutôt contrasté, puisque « ce ne sont plus les grilles d’intelligibilité de Mai 68 qui éclairent la France », explique M. Sirinelli. On parle plutôt d’altermondialisme, solution en phase du capitalisme, et la France est engagée dans une pensée décliniste causée par un essoufflement économique. On s’interroge sur le système républicain français et il y a une sorte de « déchirure sociale » en raison du chômage, du délabrement de certains quartiers et de l’étiolement du vivre ensemble.
Enfin, en 2007, ce fut l’année de la campagne électorale entre le PS de Ségolène Royal et de l’UMP de Nicolas Sarkozy. Le temps des baby-boomers est passé et il y a « remise en cause des effets supposés de Mai 68 », précise M. Sirinelli. En outre, M. Sarkozy déclare qu’« il [faille] liquider l’héritage de Mai 68! », ce qui suscite une vague de vives réactions. Les historiens n’ont jamais autant publié sur le sujet que l’année suivante.
Afin de clore son exposé, et pour bien résumer les différentes phases post-Mai 68, le conférencier s’est exprimé en ces mots : « À travers Mai 68, on voit une génération Narcisse, qui se regarde et s’aime, une génération Peter Pan, qui a connu le progrès, et une génération Robinson, mélancolique et qui s’enferme dans une île ».
Photo: Le conférencier a parlé des différentes commémorations de Mai 68.