Comme tous les événements culturels de grande envergure qui ont coïncidé avec la pandémie du coronavirus, le Festival des arts de Saint-Sauveur (FASS) a dû se réinventer afin de maintenir, vaille que vaille, cette dernière édition initialement prévue entre juillet et septembre 2020. En effet, les 20 créations des 20 artistes qui y participent seront accessibles exceptionnellement et uniquement sur des plateformes numériques. Toutefois, cela ne veut nullement dire que le programme de cette année n’est pas à la hauteur de la renommée du FASS et aux attentes du public, loin de là!
Pour cette 29e édition, le directeur artistique du festival depuis 6 ans déjà, le danseur, compositeur et chorégraphe Guillaume Côté a concocté un menu des plus riches qui se dévore avec les yeux et l’âme. Fricotant, tour à tour, avec les thèmes de la solitude, l’incertain et la créativité, cette programmation qui s’intitule Une solitude partagée promet d’être très originale par rapport aux éditions précédentes. Pour en avoir le cœur net, nous avons sollicité Guillaume Côté pour une danse à deux, une valse à deux temps, celle des questions/réponses.
Soufiane Chakkouche (S.C.) : À situation exceptionnelle, édition exceptionnelle! Qu’est-ce que cela vous fait à vous et aux autres artistes de ne pas pouvoir partager vos créations directement avec le public? Est-ce que ce n’est pas là une source de frustration?
Guillaume Côté (G.C.) : Du côté artistique et créatif, on ne peut pas dire que c’était frustrant parce que, dans son ensemble, le projet est organique. On a essayé de s’adapter à la situation en utilisant le moment. On a créé des spectacles spécialement pour la solitude et non pour être joués sur scène, ce sont des films de danse réalisés dans des lieux comme la forêt ou autour des lacs. Ceci dit, la situation actuelle est une grande frustration pour tout le monde, mais que voulez-vous? La santé des gens passe avant tout. On comprend la situation et on est patient, en espérant qu’il y aura un retour à la normale pour l’édition prochaine.
S.C. : Est-ce que, d’un autre côté, le positif celui-là, la transmission numérique des spectacles ne permettrait-elle pas de toucher plus de monde, dans le sens où les performances des artistes vont être accessibles, non seulement au Québec et au Canada, mais aussi à l’étranger?
G.C. : C’est vrai qu’avec le numérique, c’est plus facile de propager nos réalisations, dans ce sens, le numérique peut avoir un effet positif. Mais d’un autre côté, les gens qui nous suivent sont peut-être moins familiers avec la technologie ou ils vont moins apprécier ce qu’on fait à travers cet outil, parce que la plupart ont l’habitude de nous voir en live. Peut-être qu’on va décevoir des personnes qui ont l’habitude de venir nous voir tous les ans au festival. Ceci dit, il y a un autre avantage au numérique, les spectacles vont rester accessibles en ligne pendant toute l’année.
S.C. : Peut-on parler de défi ou d’un pied de nez lancé au coronavirus avec cette édition? C’est-à-dire, est-ce que ce n’est pas pour dire qu’on pourrait confiner la terre entière, mais jamais la créativité?
G.C. : Absolument, d’ailleurs pour cette édition, les artistes on fait preuve de beaucoup de créativité parce qu’il y a des choses qu’on peut faire via le numérique et pas sur scène et vice-versa. Les artistes s’appliquent et s’impliquent différemment dans ce projet et, de ce côté-là, c’est très intéressant.
S.C. : À propos du confinement, vous avez choisi « solitude partagée » comme titre de cette édition, aviez-vous eu ce sentiment de solitude pendant votre confinement?
G.C. : On ne peut pas ressentir de la solitude en confinement avec deux enfants de 3 et 5 ans (rire). En fait, il y a eu deux extrêmes au niveau du ressenti pendant cette période. L’un était un sentiment de la mort de ma carrière parce que juste avant le confinement, j’étais à un moment de ma carrière où il m’avait fallu beaucoup de temps, d’énergie et de discipline pour retrouver mon niveau physique d’avant.
J’étais en pleine représentation de Roméo et Juliette à Toronto. D’ailleurs, c’est sûrement la dernière fois que je le fais parce que c’est un événement qui ne revient que tous les quatre ans.
Pendant le confinement, où je ne pouvais pas m’entraîner sept heures par jour par exemple, j’ai réalisé que je ne pourrai pas jouer avec le Ballet national pendant encore quatre années parce que j’ai vu ma super forme s’éteindre en quelques semaines et, pour retrouver le même niveau, c’est une affaire de plusieurs mois.
Vous savez, dans la danse classique, 40 ans c’est pas mal le max pour les hommes, moi je suis déjà à presque 39. Donc oui! J’ai eu comme un sentiment de grand deuil de ma carrière pendant ce confinement. En revanche, il y a quelque chose que j’ai vraiment gagné en cette période, c’est celle d’être père à plein temps pendant 12 semaines, chose qui m’était impossible auparavant parce que j’étais trop pris et investi dans mon travail.
S.C. : Justement, question reconversion professionnelle, si nos informations sont bonnes, vous allez réaliser, pendant toute la période du festival, des entrevues avec les artistes. Vous allez donc endosser la casquette du journaliste-intervieweur ! Est-ce que, par hasard, vous n’envisageriez pas d’embrasser une carrière de journaliste artistique après votre proche retraite de danseur?
G.C. : (Rire). Ce n’est pas impossible. Il faut beaucoup de curiosité pour être journaliste, et je peux vous dire que je suis de nature très curieuse. D’ailleurs, c’est ce qui m’a poussé à devenir directeur artistique du FASS, je pense. Ça peut être un bon changement de carrière, mais je vous avoue que je ne suis vraiment pas bon avec les mots parce que j’ai passé ma vie à m’exprimer avec mon corps. Peut-être que je poserai mes questions en dansant (rire).
S.C. : Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de la programmation du festival de cette année?
G.C. : Il s’agit de 20 artistes, 10 compositeurs et 10 chorégraphes qui vont créer 10 films de danse de 5 à 10 minutes. Chaque élément est complètement nouveau avec une nouvelle partition et une nouvelle chorégraphie. Chaque élément, comme la musique et la danse, est fait en solo. Le compositeur crée pour une seule personne, pour un seul corps.
Je voulais donner un défi aux artistes : présenter la solitude et l’incertitude à la fois, et ne pas insister sur la collaboration entre le compositeur et le chorégraphe qui ont l’habitude de travailler ensemble. Parfois ça devient même comme une sorte de commande. J’ai voulu casser cette relation pour y introduire l’élément d’incertitude et de solitude qui marque cette période de la COVID.
S.C. : Enfin, et sans transition, vous avez une carrière riche et remplie en récompenses et en reconnaissances, comme la médaille de l’Assemblée nationale obtenue en 2011. Quelle est celle dont vous êtes le plus fier? Attention, c’est une question piège!
G.C. : (Rire). C’est sûr que cette médaille représente beaucoup pour moi. Je pense que le fait d’avoir eu la chance de mener la carrière que j’ai eue, c’est tous les jours que j’ai ma récompense.
S.C, : Vous voyez! vous avez déjà les mots pour vous lancer dans une carrière de journaliste.
G.C : (Rire).
SOURCE – Soufiane Chakkouche
PHOTO – Guillaume Côté