Le Métropolitain

Des organismes francophones au Canada se réjouissent de la hausse des frais de scolarité

Lise Denis

Des organismes francophones canadiens se réjouissent de la hausse des frais de scolarité pour les étudiants hors Québec. Plutôt que d’y voir une menace à la vitalité du français, ils espèrent que la mesure donnera un nouveau souffle aux établissements francophones de leurs provinces.

« Une augmentation des frais, ce n’est jamais une bonne chose aux yeux des élèves », concède Haïfa Zemni, présidente de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne. Mais cela pourrait « encourager les inscriptions postsecondaires en français en Ontario. Si [les étudiants] n’ont plus la possibilité d’aller étudier en français au Québec en raison des frais, ils vont peut-être se tourner vers l’Ontario et encourager les institutions qu’on a déjà ici. »

Selon la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Liane Roy, la mesure pourrait même inciter les différents gouvernements provinciaux à investir davantage dans leurs universités francophones, et ainsi « augmenter l’offre et l’accessibilité de programmes en français ».

Le 20 octobre, le gouvernement Legault a annoncé sa volonté de hausser les frais de scolarité pour les nouveaux étudiants étrangers ou issus d’autres provinces canadiennes à compter de l’automne 2024. Ces derniers verront leurs dépenses presque doubler, puisqu’elles passeront de 8992 $ par année, à 17 000 $, soit l’équivalent de ce que leur formation coûte au gouvernement. Les nouveaux étudiants internationaux paieront quant à eux 20 000 $.

L’inscription à des programmes en français offerts seulement au Québec demeurera au tarif préférentiel. Un engagement prévu dans la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, mais qui « reste intact », se réjouit Liane Roy, puisque des frais équivalents à ceux des Québécois pour l’ensemble des programmes « menace (raient) les autres institutions » francophones au Canada.

« Ça va faciliter l’accès aux études en français et, nous, c’est ce qu’on veut. »

Selon Mme Roy, il est important que les Canadiens de langue française puissent continuer à étudier dans des programmes spécialisés, offerts en français seulement au Québec. « On a une richesse de programmes au Québec qu’il n’y a pas ailleurs au Canada », note Olivier Bégin-Caouette, professeur de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

Malgré cela, la hausse des frais dans les établissements québécois pourrait rendre les universités canadiennes plus compétitives. « Si un étudiant peut étudier moins cher chez lui, le risque c’est qu’il aille étudier en anglais », prévient Mme Roy.

Résultat : « certains étudiants qui habitaient proche du Québec, mais dans d’autres provinces, au Nouveau-Brunswick et en Ontario principalement, vont peut-être reconsidérer le fait de venir étudier au Québec », indique Olivier Bégin-Caouette. Le phénomène pourrait ne pas s’étendre aux Canadiens plus éloignés géographiquement, selon le spécialiste des études postsecondaires, car ils pourraient demeurer intéressés par un programme de l’université, ou avoir « envie de vivre une expérience particulière ».

Il estime que le gouvernement caquiste devra donc réfléchir sur la place du Québec au sein de la francophonie. « Ce n’est pas une question de (savoir si ces étudiants) contribuent à la société québécoise, mais plutôt si le Québec se maintient comme le pôle francophone en Amérique. »

Outre « freiner le déclin du français à Montréal », la mesure caquiste vise à mettre fin « à une politique qui subventionnait à perte des étudiants qui ne restent pas ici ». Or, contrairement à ce qu’avance la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, les étudiants canadiens qui étudient au Québec ne quittent pas la province à la fin de leurs études, estime Mme Roy.

« Quand le programme de médecine à l’Université de Moncton a été créé, en partenariat avec l’Université de Sherbrooke, c’était justement pour s’assurer que les médecins qui seraient formés pourraient rester dans la région. Ça a augmenté la rétention des médecins au Nouveau-Brunswick. Ça, c’est vraiment documenté », dit-elle.

Le ministère de l’Enseignement supérieur n’a pas indiqué au Devoir le nombre d’étudiants canadiens qui restent au Québec après leurs études.

La FCFA estime par ailleurs que la mesure pourrait « limiter » les choix des francophones à travers le pays. « Les jeunes du Manitoba ou de l’Alberta, qui veulent étudier dans un programme non offert dans leur province d’origine, mais qui serait offert à Moncton, risquent de faire face à des coûts beaucoup plus élevés puis à des distances plus grandes que s’ils allaient étudier au Québec. »

Elle invite donc le gouvernement, qui s’est déjà dit ouvert à établir des « exemptions » pour les Franco-Canadiens, à « poursuivre les discussions » via des consultations publiques, pour établir des « mesures incitatives qui encourageraient les jeunes à étudier en français, comme un programme de mobilité », par exemple.

« Il y aura une réflexion à avoir sur l’aide ou les ententes qu’on pourra conclure pour favoriser la venue d’étudiants francophiles, estime M. Bégin-Caouette. Il y a une conséquence que le gouvernement n’a peut-être pas prévue, c’est qu’en mettant ce frein-là pour les étudiants canadiens non québécois, ils nuisent à la mobilité francophone à l’intérieur du Canada. »

Source : La Presse canadienne / Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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