Le Métropolitain

De la magie des conteurs

L’Alliance Française de Toronto a disposé ses chaises en demi-cercle, dans la galerie Pierre Léon, pour recevoir la conteuse Stéphanie Bénéteau, le vendredi 13 mars. Le temps d’une veillée et de trois contes grecs.

Certaines civilisations prêtent aux conteurs des pouvoirs occultes. Des pouvoirs secrets, connus d’eux seuls. Des pouvoirs magiques qui sortent de l’ordinaire. Peut-être est-ce dû au fait que les conteurs, par définition, sont des voyageurs. Qu’ils marchent d’un village à l’autre en quête d’un feu de camp, d’une veillée ou d’un auditoire à ensorceler. 

Le conteur est un passeur. C’est son privilège, puisqu’il voyage en colportant ses histoires, qui seront répétées par d’autres. Et pas uniquement répétées. Les passeurs suivants ajouteront leur touche, modifieront légèrement la version précédente, sans en changer radicalement la substance.

Stéphanie Bénéteau est de ces magiciens. Née d’un père américain et d’une mère franco-ontarienne, elle est basée à Montréal, mais se promène beaucoup pour raconter ses histoires. Et des histoires, elle en connaît des centaines. Parmi son répertoire, les histoires de la mythologie grecque. 

La fiction orale est la première trace de fiction, et Homère est le plus grand conteur de tous les temps. Et la mythologie grecque est l’une des plus riches, le divertissement s’y mêle au religieux, au divin. Stéphanie Bénéteau adapte ces deux matériaux, et par l’instrument de sa voix, par l’improvisation de l’instant, crée une œuvre aussi éphémère qu’originale. Ce qui n’est pas le dernier des paradoxes géniaux de la forme du conte oral. Chaque conte raconté est unique, alors même qu’il est parfois millénaire. 

Stéphanie Bénéteau a donc raconté l’histoire de Persée, le vainqueur de la terrible Méduse qui, d’un seul regard, pouvait changer ses ennemis en statues de pierre. L’histoire est connue, mais saviez-vous que Persée est aussi l’objet d’une prophétie? Son grand père, le roi d’Argos Acrisios, en visite chez la Pythie de Delphes, apprit que son petit-fils le tuerait. Chez les Grecs, on n’échappe pas à son destin. Mais celui-ci peut prendre des formes surprenantes…

Stéphanie Bénéteau a ensuite enchaîné en racontant quelques passages de l’Iliade, puis de l’Odyssée. Le choix funeste que dût faire Paris, le fils de Priam, lorsqu’il eût à choisir la plus belle des trois déesses principales de l’Olympe. Athéna la sage guerrière, Héra la puissante épouse de Zeus, ou Aphrodite, la déesse de la beauté et de l’amour… Évidemment, on ne peut en choisir une sans froisser à mort les deux autres, et il n’y a rien de pire qu’une déesse outragée. 

Le début de l’Odyssée, c’est aussi la rencontre entre Ulysse aux mille ruses, roi d’Ithaque, et du cyclope, fils de Poséidon, monstre à l’œil unique et mangeur de chair. Une rencontre qui montrera la rouerie du héros grec, mais aussi toute la tragédie de son destin.

Enfin, Mme Bénéteau a terminé la soirée par une histoire qui lui tient peut-être plus à cœur que les autres. Celle de Callisto, prêtresse d’Artémis, la déesse de la chasse qui, suite à une tromperie de Zeus, fut changée en ourse, tandis que son fils lui fût enlevé. Zeus est coutumier des tromperies, lorsqu’il souhaite séduire une jeune mortelle. Il peut se changer en taureau pour séduire Europe, ou en pluie d’or, pour séduire la mère de Percée. Mais seule Stéphanie Bénéteau, grâce à une empathie et un sens de la tension unique, sait décrire avec justesse le viol que subissent ces jeunes femmes. C’est un de ses ajouts, et ce n’est pas le moins brillant. 

Photo: Stéphanie Bénéteau

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