Les députés de l’opposition en France ne cherchent plus à la déstabiliser. Il y a dans l’assemblée législative nationale française, certains comportements qu’on ne se permettrait pas au Canada tels que reluquer d’un air grivois et lancer des remarques lubriques à une jeune députée, par exemple. Corinne Narassiguin, à l’instar de plusieurs de ses jeunes collègues députées, a subi ce baptême d’un feu d’un autre âge
Aujourd’hui, lorsqu’elle se lève en pleine bataille parlementaire, qu’elle s’approche du micro, le silence se fait. Les vieux briscards de droite laissent parler cette femme qui explique, patiemment, encore et toujours les mêmes concepts à une opposition de droite qui a pris le parti de pourrir un débat sur le mariage accordé aux couples de même sexe, à coups d’incidents de séance et d’amendements répétitifs (plus de 5000, dont une majorité d’amendements similaires).
« Corinne Narassiguin, c’est avant tout quelqu’un d’efficace. Une pro. Pas une idéologue pas une idéaliste, pas une belle parleuse, c’est quelqu’un de volontaire et de pragmatique », dit d’elle Thomas Gallezot, secrétaire général de la section du Parti socialiste de Toronto. Il ne tarit d’ailleurs pas d’éloges envers celle qui a remporté son siège de députée dans une circonscription que l’on disait acquise à la droite.
En France, le débat sur l’ouverture du mariage à tous est vif. Si une majorité de Français est favorable à cette avancée, une minorité très mobilisée autour d’une Église catholique qui surprend par son influence se fait entendre. Avec plusieurs centaines d’autobus mis gratuitement à disposition des manifestants, dont la plupart venaient de province, elle a su inonder les rues de familles nombreuses et bien peignées. La réplique des partisans de ce mariage fut conséquente, mais moins nombreuse. Les Français manifestent volontiers contre, rarement en faveur.
De la rue, la contestation est naturellement relayée en chambre législative. Avec plusieurs dérapages homophobes à son actif, la droite parlementaire française lutte d’arrache-pied. Et face à elle, Christiane Taubira, garde des sceaux (ministre de la Justice). Parfois avec calme, souvent avec rage, intelligence, patience, humour et poésie, elle répond argument après argument à la droite. Ses discours soulèvent l’enthousiasme de ses admirateurs qui ne lui connaissaient pas, il y a quelques semaines, tant de verve et de talent.
Autour de la garde des sceaux, quelques jeunes élus socialistes. Erwann Binet, rapporteur de la loi, et Corinne Narassiguin. Accompagnés de Sergio Coronado, jeune député écologiste des Français de l’étranger pour l’Amérique latine. Dans la circonscription de ces deux élus, l’Argentine, la ville de Mexico, plusieurs États américains et surtout le Canada ont légiféré en faveur de l’ouverture du mariage à tous.
« Nous encourageons les comparaisons internationales en matière économique, sociale et environnementale. Pourquoi cette attitude d’ouverture serait-elle inapplicable aux questions de société? », a demandé Mme Narassiguin en pleine assemblée, pour une de ses premières interventions sur le débat.
La particularité de ces débats sur l’ouverture au mariage pour tous, c’est qu’ils sont suivis en permanence en vidéo par les internautes sur le site de l’assemblée nationale. Dans le même temps, les réseaux sociaux, en particulier Twitter, bruissent de ce débat. Les députés de la majorité, pour ne pas ralentir la procédure, évitent d’intervenir en séance et se défoulent sur le site de micro-blogging. Et Corinne Narassiguin, férue de nouvelles technologies, n’est pas la dernière à s’adonner à l’exercice. Elle est particulièrement présente, et même drôle, comme lorsqu’elle propose ironiquement de légiférer sur les histoires d’amour entre robots et êtres humains, pour moquer une opposition qui voit dans cette loi un « changement de civilisation contre nature ».
Pour tenir les heures et les nuits de débats, le secret de Corinne Narrassiguin, c’est « le café et le jus d’orange ».
Au moment de l’impression de cet article, la loi devrait être sur le point d’être votée. Avant d’entrer en vigueur, elle devra être validée par le Sénat, puis probablement par le conseil constitutionnel, si l’opposition décide d’y faire appel. Entretemps, Corinne Narassiguin aura plus de temps pour dormir un peu et visiter sa très grande circonscription. Elle devrait être à Toronto le 2 mars pour rencontrer les Français autour d’un brunch.
Elle leur dira sans doute ce qu’elle répète souvent à propos des Français vivant à l’étranger : « Je veux montrer que nous sommes un levier sur lequel la France peut s’appuyer dans la mondialisation actuelle, que nous avons des choses à dire en tant que Français de l’étranger ».