Le Métropolitain

Causerie avec l’académicien Dany Laferrière

« Pas croyable, ça fait la cinquième fois que Bouba met ce disque de Charlie Parker… » En écrivant cette première phrase, Dany Laferrière n’avait non seulement aucune idée de ce qu’il venait de taper sur sa machine à écrire, mais il était sûrement loin de penser qu’elle constituait le début d’une carrière qui le mènerait 30 ans plus tard à siéger sur les bancs de l’Académie française. 

De passage dernièrement à Toronto dans le cadre à la fois du Mois de l’histoire des noirs et du Mois du patrimoine culturel en Ontario français, Dany Laferrière était venu présenter au Théâtre français de Toronto son dernier ouvrage Journal d’un écrivain en pyjama. Plus tôt ce jour-là, l’écrivain avait rencontré des élèves de 11e et 12e des écoles secondaires Étienne-Brûlé, Jeunes sans frontières et du Collège français. 

Ce ne fut cependant pas en pyjama que M. Laferrière se présenta sur la scène du TfT, espace transformé le temps d’un soir en salon. Il fut accompagné pour l’occasion par son éditeur Rodney Saint-Éloi. Suspendus aux mots de M. Laferrière durant plus d’une heure, les quelque 200 personnes qui assistèrent à cette causerie se rendirent compte de son immense talent de raconteur. Il leur livra quelques-unes des nombreuses anecdotes qui ont parsemé son cheminement littéraire jusqu’à la suprême distinction, histoires toujours racontées avec humour et humilité.

En ce jour de 1976 à Port-au-Prince, Dany Laferrière n’attendit pas que les Tontons Macoute du dictateur Duvalier viennent frapper à la porte pour le tuer. Il décida de quitter Haïti en catimini et vint s’installer à Montréal. 

« Je venais de quitter une ville où c’est l’été et où tout le monde est noir, pour atterrir dans une autre peuplée de blancs et où c’est l’hiver », fait-il remarquer avec un brin de malice pour expliquer le choc culturel auquel il fit face durant les premiers temps.  

Travaillant de jour dans des usines, le nouvel arrivant passera ses nuits à errer et à observer dans les rues de la métropole québécoise. Cette observation minutieuse du monde qui l’entoure finira par le pousser à écrire. 

« Pour écrire, il faut prendre le métro, marcher dans la rue, observer et écouter les gens. Ces gens sont justement mon matériel d’écriture », expliquait-il à son auditoire. 

Son premier roman Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985) provoqua un véritable coup de tonnerre dans le monde littéraire québécois. Pour la première fois, un écrivain haïtien ne parlait pas de la dictature, mais de lui-même. 

La notoriété lui vaudra d’être engagé comme journaliste puis présentateur de la météo à la télévision. Incapable de continuer à passer inaperçu pour observer le monde, Dany Laferrière s’exile de nouveau pour la Floride au début des années 1990. Il y passera un peu plus de 10 ans. C’est Haïti qui captive désormais son attention. Une série de romans haïtiens sont publiés, dont notamment L’odeur du café (1991), Pays sans chapeau (1996), La chair du maître (1997) et Le cri des oiseaux fous (2000). 

Le 12 janvier 2010, alors qu’il venait de commander du homard dans un restaurant de Port-au-Prince en compagnie de Rodney Saint-Éloi, la terre se met à trembler. Dany Laferrière note méticuleusement les difficultés qu’éprouvent ses compatriotes durant les jours et les semaines qui vont suivre le séisme. Un nouveau manuscrit prend alors forme : Tout bouge autour de moi (2011). Journal d’un écrivain en pyjama (2013) se veut être une série de réflexions personnelles sur la lecture et l’écriture, deux passions chez l’auteur. 

Quand, en décembre 2013, Hélène Carrère d’Encausse l’appela pour savoir s’il accepterait de devenir un « immortel », Dany Laferrière eut cette réponse : « Il y des invitations qu’on ne refuse pas! »

C’est ainsi que pour la première fois, un écrivain québécois d’origine haïtienne s’assoit désormais à la place qu’occupèrent autrefois Montesquieu et Alexandre Dumas fils. 

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