Le Métropolitain

Avec Wintopia, la cinéaste montréalaise Mira Burt-Wintonick découvre le vrai sens de sa relation avec son père

Covid oblige, le Festival international du documentaire canadien Hot Docs (Hot Docs) a été reporté. Cependant, cela n’a guère empêché ses organisateurs de dévoiler d’ores et déjà la sélection officielle de 2020.

Parmi les 10 pépites créatives en lice se trouve Wintopia, (Production : Bob Moore (EyeSteelFilm) et Annette Clarke (ONF). Production exécutive : Daniel Cross et Mila Aung-Thwin (EyeSteelFilm)), un long métrage de la cinéaste et productrice de radio montréalaise Mira Burt-Wintonick et fille du regretté Peter Wintonick, un monstre canadien du documentaire qu’on ne présente plus!

Concourant dans la catégorie Artscapes, ce « travail » relève à la fois de la quête utopique et du processus de deuil, et ce, dans la mesure où la cinéaste y retrace le parcours de son père tout en braquant les projecteurs sur l’obsession utopiste permanente de ce dernier.

D’ailleurs, ce film n’est qu’une tentative – plutôt réussie –  d’une fille d’achever le dernier film de son père. Toute la force de ce documentaire réside dans cette passation, tout en douleur, de ce flambeau générationnel avec toutes les émotions et la fantaisie qui en découlent.

Nous avons regardé Wintopia avant d’interviewer son auteure, non sans avoir éprouvé une certaine gêne, car il est difficile à une âme d’interroger une âme meurtrie.

Soufiane Chakkouche (S.C.) ; Wintopia! Qu’est-ce que ce titre veut dire ? Est-ce un mot-valise ?

Mira Burt-Wintonick (M.B.W.) : Tout à fait! C’est un jeu de mots avec le nom de mon père « Wintonick » et le mot « utopia ». C’est un mot que mon père avait inventé.

S.C. : Il y a une image forte au début du film, celle de votre père devant un moulin à vent en Espagne en train d’imiter avec ses bras et son corps la rotation des palmes du moulin. D’ailleurs, on retrouve ces fameux moulins à vent tout au long du film! Est-ce que c’est juste de voir une référence à Don Quichotte là-dedans ? Si oui, peut-on dire que votre père est le Don Quichotte des temps modernes, dans la mesure où il n’a eu de cesse de chercher l’utopie?

M.B.W. : (rire) Tout à fait. Mon père était très inspiré par ce personnage de Don Quichotte qui voulait sauver le monde et abolir tous les moulins géants. Mais, dans le fond, je pense que mon père était à moitié Don Quichotte et à moitié Sancho Panza parce qu’il était rêveur et réaliste à la fois. Il pouvait être clown, comme il savait être sérieux.

S.C. : Cette aventure avait commencé lorsque vous avez trouvé par hasard dans la maison familiale des images tournées par votre père dans le but de faire un film sur le sujet de l’utopie. Pouvez-vous nous quantifier cette trouvaille ?

M.B.W. : Il y avait à peu près 300 cassettes qui dormaient tranquillement dans des boîtes dans le sous-sol. Mais il y avait aussi des recherches et des notes écrites par sa main sur le sujet. Tout ça était éparpillé un peu partout. Ce sont ces documents qui constituent le socle de Wintopia.

S.C. : Cela voudrait-il dire que vous avez effectué un gros travail de tri et de montage en amont ?

M.B.W. : (rire). Oui, c’est le cas de le dire. Ça m’a pris des années pour juste regarder tout ça et choisir ce qui m’intéresse, quoi inclure et quoi laisser tomber, comment créer la structure du film à partir de ces images et ces notes parce que, dans les faits, ce film est comme trois films en même temps, un sur l’utopie, un sur mon père et un autre sur notre relation tous les deux. Le défi était donc de trouver une structure qui permet de raconter ces trois histoires en même temps.

S.C. : Combien de temps vous a-t-il fallu pour faire ce film ?

M.B.W.) : Ça m’a pris cinq ans et demi, mais pas à temps plein parce que je faisais autre chose en même temps, notamment des projets de radio parce que je suis aussi productrice radio.  

S.C. : On découvre dans le film que votre père avait un sens de l’humour très aiguisé. Est-ce que c’était sa nature hors champ de la caméra, c’est-à-dire dans la vie quotidienne ?

M.B.W. : Oui! Il était toujours en train de raconter des blagues et de faire des jeux de mots. Il avait cette capacité de voir de l’humour dans toute chose même dans les choses d’apparence sérieuse. Il croyait dur comme fer qu’il faut garder toujours l’humour à l’esprit, y compris lorsqu’on parle de choses sérieuses comme les problèmes sociaux. Je pense que, pour lui, l’humour était un gage d’espoir.

S.C. : Pardonnez le caractère un peu délicat de la question qui suit. On vous voit beaucoup dans le film, on vous voit même y grandir. N’est-ce pas là un bon moyen pour faire votre deuil vis-à-vis de la mort de votre père ?

M.B.W. : Il n’y a pas de mal. C’est dur à dire parce que c’était le premier parent et être très proche que je perds. Je ne peux donc pas comparer avec ce que ça aurait été si je n’avais pas fait ce film-là. Mais, dans un sens ça m’a aidée et, dans un autre, c’était douloureux et pénible à venir à bout de ce projet. Le processus créatif était mêlé à celui du deuil, alors c’était très compliqué et très difficile pour moi de passer des centaines d’heures à visionner ses images et passer autant de temps avec lui après sa mort. C’était vraiment très intense.

S.C. : Pour en finir avec les questions délicates une fois pour toutes, en voici une dernière : à un moment dans le film, on entend votre père vous dire qu’il vous aime beaucoup, alors qu’il était en train de vous filmer et que vous ne pouviez pas l’entendre. Avait-il l’habitude de vous le dire en face, sans interface caméra ?

M.B.W. : Non, pas vraiment. Je pense que c’était un peu difficile pour lui d’exprimer ses émotions sans sa caméra. Peut-être qu’il utilisait la caméra pour mieux se connecter avec les gens. En tout cas, c’était plus facile pour lui avec cette barrière-là, c’était sa manière de s’exprimer. Je pense aussi que le fait qu’il avait perdu son père jeune y était pour quelque chose, dans le sens où c’était difficile pour lui de le dire en personne.

S.C. : Vous dites souvent que vous avez tendance à être cynique contrairement à votre père qui était optimiste. Vous a-t-il, après ce film, tirée vers lui, vers le haut ? En d’autres termes, êtes-vous devenue plus optimiste après ce film ?

M.B.W. : Tout à fait, parce que ce film m’a permis de comprendre une chose très importante : même quand ces utopies et ces sociétés idéales – que mon père filmait et qui ne sont pas parfaites – échouaient ou disparaissaient, il reste quand même des traces qui poussent notre société à être meilleure.

Je pense que son idée de l’espoir n’est pas de construire un monde parfait ou idéal parce que c’est tout simplement impossible, mais de participer à s’en rapprocher le plus possible. Alors oui, on peut dire que je suis devenue plus optimiste après ce film, mais avec un espoir plutôt actif que naïf. 

S.C. : Vous avez dit aussi, je vous cite : «Beaucoup de pères laissent leurs enfants avec un souhait mourant, pour disperser leurs cendres dans un endroit important peut-être. Le mien m’a laissé la tâche d’achever sa recherche permanente d’Utopia. Pensez-vous avoir trouvé cette utopie qu’il cherchait tant ?

M.B.W. : (rire). Je n’ai peut-être pas trouvé l’utopie, mais j’ai trouvé le vrai sens de ma relation avec mon père. À vrai dire, je ne cherchais pas forcément une utopie personnelle, mais je cherchais à mieux comprendre mon père à travers son travail, sa passion et sa quête, et ce film m’a offert cette chance. 

S.C. : À quand la version française de Wintopia ?  

M.B.W. : C’est prévu pour l’automne prochain.

S.C. : Reste plus qu’à espérer que, d’ici là, la Covid-19 aura disparu et que l’on pourra voir le film dans une salle obscure! 

SOURCE – Soufiane Chakkouche

Exit mobile version