La galerie Power Plant de Toronto abrite, à partir du 27 janvier et jusqu’au 13 mai, la première exposition solo au Canada du sculpteur français Kader Attia.

Intitulée The Field of Emotion, elle inclut l’installation J’accuse (2016). Illustrant la blessure – autant physique que psychologique – de millions de soldats rescapés de la Première Guerre mondiale, l’artiste a sculpté 18 bustes en bois inspirés de photographies d’archives des musées de Francfort, Londres et Paris et les a disposés devant une projection du film éponyme réalisé par le Français Abel Gance en 1919. Présentant des images d’anciens combattants défigurés, ce film muet se voulait un avertissement contre les ravages de la guerre en Europe et la tentation d’un second conflit mondial.

L’installation a fait le tour de la planète, du MoMA de New York à la Biennale de Venise et mit en exergue la réflexion de Kader Attia, lauréat du prix Joan Miró en 2017, autour des notions de réparation et de reconstruction. Selon lui, les rapports socio-culturels ont de tout temps engendré violence, privations et suppressions. La réparation, lorsqu’elle a lieu, s’est bien souvent traduite par l’oubli ou la disparition, jamais par un retour à l’état originel. Kader Attia en analyse le traumatisme, la blessure, la cicatrice toujours présente.

« L’œuvre d’art joue un rôle crucial dans le processus réparateur, selon M. Attia. Outre le fait qu’elle incarne elle-même la réparation, elle interroge un horizon politique touchant toutes les catégories de la société. Il est toujours discuté, détesté, mais jamais insignifiant. Pourquoi? Parce qu’il incarne le champ de l’émotion. »

Le film le plus récent de cet artiste pluridisciplinaire, Reflecting Memory (2016), que le public pourra également découvrir, aborde un sujet contigu : le membre fantôme. S’appuyant sur une série d’entrevues avec des chirurgiens, des neurologues, des psychiatres, des historiens et des musiciens, il explore les causes sous-jacentes de la douleur psychologique qui se manifeste physiquement et établit un lien entre une partie perdue du corps et une partie perdue de la société.

Dans le même ordre d’idées, Kader Attia a produit un autre documentaire, spécialement pour l’exposition au sein de la galerie Power Plant. Il y compile des conversations avec divers universitaires des domaines de la psychiatrie, de l’anthropologie, de l’histoire et de l’histoire de l’art, autour de l’histoire de la colonisation et de l’esclavage au Canada.

Les recherches socioculturelles de l’artiste, avec qui le public pourra échanger à la John H. Daniels Faculty of Architecture, le samedi 27 janvier à 14 h, franchissent depuis 2016 les murs des galeries d’art pour s’immiscer dans le débat citoyen. Toujours dans l’esprit de réunir ce qui a été brisé, Kader Attia a créé La Colonie, un espace de discussion sur la décolonisation des peuples, des connaissances, des attitudes et des pratiques.

 

Photo (©The Power Plant ) : L’installation J’accuse de Kader Attia.