Quand on parle de Ionesco, il y a ceux qui aiment plus ou moins et ceux qui adorent. Véronique Auger-Drolet fait partie de ces derniers. Désireuse de monter son propre spectacle, la jeune actrice torontoise s’est tournée vers l’œuvre du célèbre dramaturge français, plutôt que d’entreprendre d’écrire sa propre pièce. Choix facilement compréhensible pour une jeune maman pour qui le temps est précieux. Le résultat fut Projet Ionesco, un montage de six extraits de pièces qui fut récemment présenté dans le nouveau théâtre de l’Alliance française de Toronto. Elle fut rejointe dans son entreprise par le comédien Nicolas Van Burek et la metteure en scène Patricia Marceau. 

Il faut reconnaître que le théâtre de l’absurde est un univers bien particulier. Les textes bâtis sur des répliques qui n’ont pas de sens produisent un théâtre à la fois drôle et savant. 

« À la lecture de Ionesco, j’ai eu un véritable coup de cœur pour quelques passages de ses pièces », explique Véronique Auger-Drolet. Le public reconnut aisément le dialogue totalement dénué de sens au sein du couple Smith de La Cantatrice chauve, une des pièces de Ionesco les plus jouées encore aujourd’hui. Un couple de bourgeois anglais se met à parler d’une autre famille dont les membres portent tous le nom de Bobby Watson. Idée tout aussi saugrenue que drôle. On enchaîne avec le couple Martin, homme et femme parfaitement étrangers l’un à l’autre au début, mais qui découvrent petit à petit qu’ils sont en fait mari et femme. « Comme c’est curieux! Comme c’est bizarre! Et quelle coïncidence! »

Autre passage bien connu fut aussi la scène intense entre un professeur et sa nouvelle élève extraite de La Leçon. Les deux personnages s’empêtrent progressivement dans des élucubrations mathématiques de plus en plus complexes. La pauvre enfant en ressort épuisée et humiliée. Le limaçon et la tortue. S’agit-il du même animal? Un couple argumente le pour et le contre dans un dialogue à n’en plus finir tiré de Délire à deux. Des extraits de Les Chaises et Exercices de conversation et de diction française pour étudiants américains furent également joués. À propos de ce dernier, il est intéressant de noter qu’Ionesco construisit souvent ses textes en s’inspirant des dialogues contenus dans les méthodes d’apprentissage des langues étrangères. 

Jouer à deux une succession de douze personnages différents et se lancer dans des dialogues dans lesquels la logique est presque totalement absente requièrent un solide bagage théâtral. Véronique Auger-Drolet et Nicolas Van Burek s’en sortirent avec brio. Les deux avouèrent que la mémorisation de textes si complexes ne fut pas aisée. La mise en scène de Patricia Marceau fut aussi d’excellente facture. Un jeu de scène dynamique, des changements de costume et de scènes savamment orchestrés rendirent le spectacle fluide et divertissant. 

Cette très belle représentation fut récompensée par les applaudissements nourris d’une salle comble.

Photo : Nicolas Van Burek et Véronique Auger-Drolet dans Les Chaises