OTTAWA – Ce sera dans quatre mois : les Canadiens pourront consommer du cannabis à des fins récréatives en toute légalité au pays à compter du 17 octobre 2018, a annoncé Justin Trudeau, le mercredi 20 juin.

Le premier ministre, qui a finalement opté pour une période de transition de quatre mois plutôt que celle de deux à trois mois que son gouvernement comptait accorder, a formulé le souhait que cette transition majeure s’effectuera sans trop de heurts.

« C’est notre espoir que le 17 octobre, les opérations des points de vente de cannabis gérées par les provinces (…) seront fluides pour faire en sorte que ceci se déroule dans l’ordre », a-t-il offert en conférence de presse, au dernier jour des travaux parlementaires.

Il n’a pas précisé combien de temps il faudrait avant que le système ne fonctionne à plein régime, ni s’il y aurait un volume suffisant de cannabis pour répondre à la demande lorsque sera arrivé le jour J.

Depuis des mois, Justin Trudeau se disait déterminé à légaliser le cannabis « d’ici la fin de l’été ». Il a repoussé à l’automne car « trois de nos grandes provinces, incluant le Québec, nous ont demandé pour un peu plus de temps », expliquait-il un peu plus tôt en Chambre.

« Je sais que c’est important de le faire comme il faut, alors on donne au Québec plus de temps pour le faire », a-t-il indiqué pendant la période de questions, moins de 24 heures après l’adoption finale, par le Sénat, du projet de loi C-45.

La mesure législative doit recevoir la sanction royale jeudi matin, en vue de son entrée en vigueur l’automne prochain.

Pourquoi un mercredi? Pourquoi le 17 octobre?

À sa sortie des Communes, la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, a affirmé qu’il ne fallait pas essayer de trouver une signification profonde au choix de la date.

« Ça pourrait être un jeudi, a-t-elle lancé en riant. On a finalement choisi cette date-là pour aucune raison spécifique. (…) Je vais être très honnête, c’est juste une date qui a été choisie. »

Le gouvernement avait initialement fixé comme date butoir pour la légalisation du cannabis le 1er juillet 2018, jour de la Fête du Canada.

 

Pardons

Le premier ministre n’a pas écarté la possibilité que le fédéral puisse accorder une amnistie aux Canadiens qui ont écopé d’infractions liées au cannabis sous le régime qui criminalisait le pot.

Tant que la loi n’aura pas changé, il serait « illogique de commencer à vouloir parler de pardon », a-t-il argué en conférence de presse.

« À partir de l’entrée en vigueur (de C-45), nous allons commencer à regarder la question des pardons et des (dossiers) criminels », a toutefois signalé Justin Trudeau.

Un peu plus tôt, sa ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, avait fait remarquer qu’il faudrait attendre encore un peu avant de consommer du cannabis récréatif en toute légalité.

« Il est important d’être clair là-dessus: le cannabis à des fins non médicales n’est pas encore légal. La loi reste la loi », a-t-elle insisté en point de presse dans le foyer des Communes.

 

Culture à domicile

À ses côtés, sa collègue Petitpas Taylor a encouragé les Canadiens « à se renseigner sur ce qui sera légal ou non dans la province où ils résident ».

Elle a cependant été floue lorsqu’est venu le temps de dire à quelle loi les Québécois devront se plier en ce qui a trait à la culture de plants de cannabis à domicile.

En vertu de la loi fédérale, il sera permis d’en faire pousser jusqu’à quatre par unité d’habitation.

Or, la loi-cadre adoptée par le gouvernement québécois prohibe la culture à domicile – ce qui constitue « un problème » par rapport à l’approche du fédéral, a noté Mme Petitpas Taylor.

La ministre Wilson-Raybould a de nouveau martelé, comme elle l’a fait à maintes reprises dans les derniers mois, qu’il n’était pas dans les plans d’Ottawa de contester la loi du Québec.

« Il y a une loi qui a été dûment adoptée au Québec, et c’est la loi de la province », a-t-elle offert.

« Si les individus ne sont pas en accord avec cette loi, alors ils peuvent contester cette loi », a poursuivi la ministre.

Elle a plus tard assuré qu’il ne fallait aucunement voir dans ces propos une façon d’encourager les citoyens à s’adresser aux tribunaux.

C’est précisément ce que lui reproche le ministre québécois responsable des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier.

Il juge « décevant » ce « son ambigu qui sème la confusion » en provenance d’Ottawa, lequel incitera potentiellement des Québécois à enfreindre la loi.

« C’est ce qui va entraîner peut-être certains qui n’auraient pas voulu suivre notre loi et qui veulent en faire pousser, d’utiliser ça comme moyen de défense, a-t-il regretté en entrevue.

À Québec, la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, a lancé une mise en garde à l’intention des Québécois tentés de se lancer dans la culture de plants de cannabis à la maison.

« Je dis aux citoyens: soyez vigilants, c’est la loi du Québec qui prévaut », a-t-elle lâché en mêlée de presse à l’Assemblée nationale en réaction au point de presse qui venait de se terminer à Ottawa.

La ministre Charlebois a ensuite précisé que le gouvernement québécois ne prendrait pas l’initiative de lancer une contestation judiciaire de la loi fédérale.

« C’est le citoyen qui va initier. C’est le citoyen qui est impacté (sic) en ce moment par le flou que laisse le fédéral », s’est-elle désolée.

Croyant dur comme fer à la solidité constitutionnelle de la loi québécoise, son collègue Fournier prédit d’ores et déjà une victoire judiciaire pour le Québec.

« Quiconque fait pousser un, ou deux, ou trois ou quatre (plants) et voudrait prétendre que M. Trudeau le lui a permis, malheureusement, la cour de justice va déclarer que la loi était zéro au Québec, et que d’avoir suivi l’opinion de M. Trudeau n’était pas la bonne idée », a-t-il dit.

 

Conduite avec facultés affaiblies

Le Sénat a par ailleurs approuvé mercredi le projet de loi sur la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool et la drogue, le C-46.

Les sénateurs l’avaient vidé de son essence en retirant des dispositions jugées essentielles par les libéraux: celles permettant aux policiers de procéder à des éthylotests aléatoires.

Le gouvernement a dit non et renvoyé à la chambre haute la mesure législative.

« Cette loi va sauver des vies », a insisté la ministre Wilson-Raybould, le 20 juin, avant le vote final des sénateurs, lesquels devaient plier bagage le lendemain.

Elle s’est réjouie à l’idée que le Canada se dotera ainsi d’un régime « parmi les plus sévères au monde » en matière de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue.

En vertu de C-46, il ne serait plus requis, pour les policiers, d’avoir des « motifs raisonnables » de soupçonner qu’un conducteur a consommé de l’alcool ou de la drogue pour l’intercepter.

La constitutionnalité de cette disposition a été remise en doute par des juristes pendant l’étude du projet de loi.

 

SOURCE : Mélanie Marquis, La Presse canadienne